Il est loin le temps où les super-héros bottaient le train à toutes les raclures de la galaxie sans y laisser une côte, un bras ou un début de remord. Quand DC Comics était aux commandes, les justiciers de l’Amérique (parfois des immigrés venus de planètes lointaines…) portaient peut-être des collants et des slips kangourou par-dessus, ils n’en avaient pas moins un sens aigu de la morale et du devoir. Essayez par exemple de chatouiller Superman ou Captain America sur leur part de féminité et vous mangerez de la compote le restant de vos jours… Ils ressemblaient en somme à leur époque, les années 50, un peu coincée du derrière et percluse d’arthrite. A l’aube des sixties, l’air vicié est chassé par une jeunesse à bout de souffle. Marvel en profite pour renouveler le genre. Résultat: les vengeurs masqués perdent en masse musculaire ce qu’ils gagnent en plomb dans la cervelle. A l’entrée des artistes, on lâche du lest. Des « monstres » (les 4 Fantastiques, Hulk), un mec à la cool (le surfeur d’argent), un homme-insecte (Spiderman) et même un black (Luke Cage) viennent mettre un peu de couleurs dans ce club de visages pâles. C’est dans les années 80 que ça se gâte. Sans doute minés par leur impuissance à vaincre le crime et le vice qui gangrènent les villes, les anges gardiens se mettent à douter d’eux-mêmes. Et à s’interroger sur cette société qui les regarde toujours un peu de travers. Batman broie du noir, panse ses plaies intérieures plus qu’il ne défend la veuve et l’orphelin. L’étiquette du super-héros pâlit. D’autant que les Frank Miller et consorts en rajoutent une couche dans l’ambiguïté et la violence. Certains en viennent même à explorer le côté obscur de la force. En particulier dans Watchmen, de Moore et Gibbons, où les redresseurs de torts naviguent en eaux troubles. Les années 90 et 2000 sont ainsi jalonnées de super-héros mal dans leur peau, estropiés, irascibles, marginalisés (songeons à Hellboy). Finis les traitements de faveur. Et L’infaillibilité à toute épreuve. Il n’y a qu’à regarder ceux qui tentent d’entretenir la flamme à l’écran: une boîte de conserve au c£ur fragile ( Iron Man 2) et un galopin qui prend ses rêves pour des réalités ( Kick-Ass). Sous la carapace, un play-boy milliardaire arrogant d’un côté, un lycéen obsédé sexuel et potache de l’autre. Ils ont au moins un point commun: ce sont des hommes comme les autres. Pas de pouvoirs particuliers, pas de moralité au-dessus de tout soupçon. Les masques tombent. Les super-héros qui restent sont des imposteurs. L’art contemporain et la publicité se sont engouffrés dans la brèche. Le photographe Gilles Barbier par exemple les imagine à l’hospice, chairs flétries, cheveux gris et teint cireux. Plus qu’une métaphore. Les super-héros sont réellement fatigués, désabusés, démotivés. Ça fout un coup au moral évidemment. On ne pourra plus compter que sur nous-mêmes pour sauver le monde. Vite, une cabine de téléphone! Ah zut, ça n’existe plus… l

Par Laurent Raphaël

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