La Faction cannibale

Il y a une dizaine d’années, la publication de Homo Sampler d’Eloy Fernández Porta (Inculte, 2011), traduit par notre compatriote François Monti, avait révélé l’existence d’une scène essayistique espagnole aussi flamboyante qu’inconnue chez nous, mêlant génie de l’érudition pop, éblouissante virtuosité historique et sens aigu des idées et de la théorie. S’il ne fait pas partie du groupe Afterpop dont Porta était membre, Servando Rocha appartient à la même génération biberonnée de contre-culture, de cinéma, de comics et de French Theory. Éditeur à la tête de La Felguera, qui publie écrits situationnistes, pamphlets issus de la tradition ésotériste, livres d’Alan Moore ou d’Emma Goldman, Rocha est aussi l’auteur d’une oeuvre littéraire protéiforme, passant avec la même grâce du roman à l’essai, et où confluent tous les courants et toutes les préoccupations de l’underground, qu’il explore avec une gourmandise remarquable. La Faction cannibale, son second livre traduit en français (après une histoire de la lutte armée au Royaume-Uni, Angry Brigade, publiée à L’Échappée en 2013), représente un exemple exquis de ce mille-feuilles d’influences et d’envies, placé sous le haut patronage du Walter Benjamin du Livre des passages ou du Greil Marcus de Lipstick Traces. Au fil de pages devant autant à l’Histoire et à la philosophie qu’à la critique rock, Rocha y déploie une histoire capricieuse, personnelle et qui ne cache pas son caractère outrancier voire fantaisiste, des liens qui existent entre  » art, terreur et vandalisme« . Car la  » faction cannibale » qui donne son titre au livre n’est nulle autre, pour Rocha, que le groupe informe, traversant le temps et l’espace, qui, de Thomas De Quincey à Richard Hell, de Jack l’Éventreur aux actionnistes viennois, de Violette Nozière à Kim Gordon, a fait de la création le lieu de l’exploration des pouvoirs occultes d’une violence réprimée ailleurs. C’est cruel, beau, libre, vertigineux et merveilleusement traduit.

La Faction cannibale

De Servando Rocha, éditions Tusitala, traduit de l’espagnol par Tania Brimson et Carmela Chergui, 530 pages.

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