A l’automne dernier, Baloji frappait un grand coup avec son premier album solo, Hôtel Impala. Il tente aujourd’hui sa chance en France, télés et concerts à l’appui. Focus a suivi ses premiers pas dans l’antre de la Cigale.

Epuisé. Lessivé. Regard dans le vide, Baloji avale son assiette d’un trait. Quelques minutes auparavant, il agitait sa longue carcasse sur la scène de la Cigale, dans le cadre du festival Blue Note parisien. Une salle mythique, en bas de la butte Montmartre. Pendant une heure, il y a défendu son premier disque solo. Avec force et classe, emmenant avec lui un public qui n’était pas forcément venu pour lui. Si au début de la tournée il se disait un peu perdu sans ses anciens camarades de Starflam – « A cinq rappeurs sur scène, si tu as un coup de barre, les autres sont là pour relancer et tenir la baraque » -, il a trouvé aujourd’hui parfaitement sa place. Son avis sur sa prestation? « Honnêtement? D’ici quatre, cinq dates, on sera vraiment bien. »

En Belgique, l’album Hôtel Impala est sorti à l’automne, mais il n’a atterri qu’en février dernier seulement en France. Le projet, lui, a démarré bien plus tôt. En 2005 précisément, quand Baloji reçoit une lettre de sa mère, vivant à Lubumbashi. Né d’une union illégitime, il n’avait plus eu de ses nouvelles depuis ses 4 ans, l’âge auquel son père embarqua le gamin en catimini vers la Belgique. Le choc. Baloji veut répondre à la missive. Il le fera « un peu lâchement, en chanson », expliquera le rappeur devant le public de la Cigale. Cela donnera Hôtel Impala. Une quinzaine de morceaux, entre hip-hop, soul, reggae, afrobeat, électro… Entre Kinshasa, Liège, Ostende, Gand… L’histoire familiale, les galères, le succès avec le groupe Starflam, puis les désillusions: tout est mis à plat. Sans pathos, ni apitoiement mais avec une lumière crue. Plus tôt, dans les loges, il explique: « Ce qui est intéressant, c’est de partager un truc personnel et que cela puisse amener une réflexion sur ton existence. Je suis fan de Beck, par exemple. Son album Sea Change , ce sont douze chansons sur celle qui vient de le quitter. Mais tout le monde s’y retrouve. De mon côté, je l’ai écrit pour ma mère. »

A une heure de monter sur scène, en première partie de l’Anglaise Alice Russel, Baloji est étonnamment serein. La tension est là pourtant. Ce n’est que la quatrième date avec les musiciens actuels, et il y a encore des choses à caler, assure-t-il. « En fait, depuis le premier concert à Bruxelles en novembre, on a un peu changé de structure musicalement. Au début, je n’avais pas trop confiance en moi, j’avais peur que les gens s’ennuient. Du coup, j’ai laissé beaucoup de place à tout le monde. La conséquence, c’est que par moment cela surcharge. Il faut que le propos reste varié, mais sans se disperser. Actuellement, on est plus proche des arrangements de l’album. Et ça, c’est super. J’aurais dû le faire plus tôt, mais j’ai flippé. » Ce qui l’a conforté, c’est aussi les retours de la profession, en France en particulier. « Leur discours m’a surpris. Ils disaient: oui, le mec est fort mais le band est confus. Ce n’est pas direct, on s’y perd. Cela m’a rassuré sur le fait de tenir seul la scène. Mais d’un autre côté, il a fallu vraiment trancher. » En repartant, par exemple, avec des musiciens français qui ont notamment accompagné le rappeur Oxmo Puccino.

SLAM

La Cigale est un moment important. Une étape en tous cas dans la perspective d’arriver à se forger une place dans le paysage hexagonal. Pas question (encore?) d’un quelconque buzz, mais bien d’une accumulation de signaux positifs. Des passages télés, le soutien d’un magazine comme Vibrations, des articles dans la presse quotidienne. Quelqu’un comme Olivier Cachin aussi, auteur notamment des 100 albums essentiels du rap: « Baloji, je suis très client. Il apporte un supplément d’âme avec un album très personnel et bien produit, adaptable en live: je l’ai vu au Zèbre à Paris avec son show pas encore rodé et c’était déjà top. J’espère qu’il aura tout le succès qu’il mérite. » Stéphanie Binet, chroniqueuse hip-hop de Libération, a aussi fait un sujet dans le quotidien: « C’est un disque que j’aime beaucoup, que j’écoute régulièrement, nous confie-t-elle . Maintenant, je ne suis pas devin. C’est difficile de dire si cela marchera ici ou pas. Par contre, je constate que dans le milieu, les gens un peu prescripteurs apprécient. C’est un signe. Le truc, c’est que la maison de disques s’est peut-être un peu gourée dans le positionnement, en le présentant dans la lignée d’un Abd Al Malik. Alors qu’ Hôtel Impala n’a pas du tout la même couleur de son. Il a un côté très soul, afrobeat, alors que le disque d’Abd Al Malik est plus dans une veine chanson française, jazz. »

A vrai dire, Baloji n’est pas loin de penser la même chose. « Naturellement, on veut me classer du côté des slammeurs. Mais il me semble que la place est déjà prise. Et puis, artistiquement, je ne me sens pas très proche de cette scène-là. J’ai du mal à comprendre qu’on puisse dénigrer le support musical. Je sais qu’en France on a une tradition du texte très forte, ce que je respecte. Mais quelqu’un comme Grand Corps Malade, je tiens 10 minutes. Je ne comprends pas qu’on puisse refuser la musicalité. Quelque part, c’est un aveu de faiblesse du rappeur. «  Pendant le concert, Baloji jouera Tout ceci ne nous rendra pas le Congo, qu’il entame comme sur le disque, a cappella. De quoi faire ricaner certains dans le public: « ça y est, il nous fait son couplet slam », avant que le rappeur n’impose ses mots et son univers. C’était le test: en faisant taire la salle, Baloji l’a réussi. « J’ai parfois l’impression qu’en France, le slam est devenu un terme tiroir dans lequel on range tous les mecs qui ne font pas du rap de rue, comme LIM par exemple, qui est directement rentré numéro un dans les ventes. C’est un peu ce qui me dérange: les autres styles musicaux ont droit à cette liberté. Sur le trajet, dans le bus, j’écoutais un groupe rock comme Vampire Weekend: ça part dans plein de directions, avec des batteries africaines, un chant qui reste proche de la scène anglaise, mais c’est cohérent. Le rap reste encore très réservé par rapport à cette diversité. »

Il y a quelque temps, Baloji est retourné au Congo. L’idée: réenregistrer l’album avec des musiciens locaux. Avec le KVS (Koninklijke Vlaams Schouwburg), il a séjourné récemment quatre jours à Kinshasa, où il n’était jamais passé qu’en transit. Nouvelle commotion. « Sur le chemin de l’aéroport, c’est un décor à la Mad Max. «  Le regard se perd. « Cette ville dégage une énergie incroyable. Mais en même temps, c’est très dur… Tout est déglingué, des fils électriques dénudés traînent dans des flaques. Pendant notre séjour, deux enfants sont morts électrocutés. »

Peu avant la sortie d’ Hôtel Impala, il était également venu tourner le premier clip à Lubumbashi. « Mais le but était quand même aussi de remettre le disque à ma mère et à mon père, qui est finalement retourné sur place. C’était un pas important. D’une certaine manière, je venais chercher leur approbation. Après, cela reste assez « catastrophique » comme expérience. En tant qu’Afropéen, je me suis retrouvé un peu dans la position des métisses. Ni noir ni blanc. Quand je suis arrivé, c’était un choc. Je n’étais toujours pas chez moi. J’y étais au niveau de l’ambiance, de la rue. Mais à travers leurs regards, les dialogues que j’ai pu avoir, je n’étais pas un des leurs. Le fossé est énorme. » Stéphanie Binet, qui a accompagné Baloji à Kinshasa, confirme.’ « On le prenait pour un Américain. On lui disait: tu ne fais pas local! Pour lui, qui est en recherche, cela ne doit pas être évident. Son nom aussi. On n’arrêtait pas de le lancer là-dessus. Pour nous, ce ne sont que des jolies syllabes. Mais, là-bas, cela veut dire « sorcier » en swahili. «  L’expérience a-t-elle au moins permis de fermer certaines portes? « Elle en a surtout ouvert d’autres, conclut Baloji. J’espère que mon prochain disque en fermera. Jusqu’ici, je n’ai donné que ma perception de la vérité. Mais elle est tronquée, il manque des pièces. »

Hôtel Impala, chez EMI.

En concert le 26/04 au Cactus (Bruges), le 11/05 au Mano Mundo Festival (Anvers), le 25/05 au Grosso Modo Festival (Kapellen), le 29/06, à Couleur Café (Bruxelles), le 18/07 aux Francofolies de Spa et le 26/07 au festival Brukselive (Bruxelles).

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content