Young@Heart salue une chorale de seniors se réappropriantdes classiques, punk et autres, en guise de cure de jouvence. Le no future a bien changé…

Young@Heart. Documentaire de Stephen Walker. 1 h 46. Sortie 24/12.

Le lettrage-collage du titre, façon Never Mind the Bollocks des Sex Pistols, annonce la couleur, bientôt suivi d’une séquence non moins éloquente: s’appuyant sur sa canne, un sourire coquin aux lèvres, une femme d’un âge fort respectable s’avance vers le micro: Should I Stay or Should I Go? demande-t-elle à une assistance en délire, avant d’être relayée par une chorale venue dynamiter la chanson de Strummer et Jones.

The Clash en version senior? Il fallait oser, pour sûr. Le résultat, qui ouvre Young@Heart, un réjouissant documentaire du réalisateur britannique Stephen Walker, n’en est pas moins absolument probant. Son titre, il l’emprunte au nom d’une chorale américaine dont la moyenne d’âge flirte allègrement avec les 80 ans, et qui s’est fait une spécialité, sous la direction éclairée de Bob Cilman, de se réapproprier, depuis le début des années 80, des classiques rock et punk. Au programme des sept semaines de répétition et du concert autour duquel s’articule ce film: I Feel Good de James Brown (titre d’exploitation en France, d’ailleurs), Road to Nowhere des Talking Heads, Purple Haze de Jimi Hendrix, Fix You de Coldplay, Schizophrenia de Sonic Youth. On en passe, et des meilleures, parmi lesquelles une imparable version du I Wanna Be Sedated des Ramones.

What a Drag It Is Getting Old…

Une playlist, aussi solide soit-elle, ne suffit toutefois pas à faire le bon groupe de reprises, et c’est, du reste, bien l’une des questions qui taraudait Stephen Walker lorsqu’il entendit parler, pour la première fois, de Young@Heart :  » Sally George, ma compagne, et moi venions de fonder notre société de production, Walker George Films, et étions à la recherche de sujets lorsqu’elle a acheté des tickets pour un de leurs shows londoniens. C’est peu dire que je n’étais pas très chaud, et je m’étais déjà préparé à m’esquiver si le résultat s’avérait vraiment embarrassant. Mais j’ai été complètement bluffé. Par le public d’abord: la salle était bourrée, et toutes les tranches d’âge étaient représentées. Et par la réaction des spectateurs ensuite, qui a été tout bonnement incroyable: ils rentraient vraiment dans la musique. Moi-même, j’ai été complètement estomaqué par la dimension de leurs voix. »

Voilà pour la première impression. A laquelle s’en greffera rapidement une autre, plus fondamentale:  » J’ai aussi été séduit par la façon dont ces chansons prenaient un tout autre sens une fois qu’elles étaient chantées par des vieilles personnes. Should I Stay or Should I Go , interprété par une femme de 93 ans, devient une chanson sur la vie et la mort. Et que dire, bien sûr, d’une phrase comme What a Drag It Is Getting Old dans Mother’s Little Helper des Stones. Ou d’autres exemples moins évidents, comme Fake Plastic Tree de Radiohead, qui parle de chirurgie plastique… »

Autant dire que le cocktail se révèle explosif; du pain bénit pour Walker, qui souhaitait, depuis longtemps déjà, consacrer un film aux personnes âgées.  » C’est un territoire tellement riche, et dont on rend si peu compte: on ne les voit pas à la télévision, ni dans les films, personne ne souhaite penser à ce qui se passera alors. Mon approche est différente. Il ne s’agit pas de bons petits vieux, mais bien d’une success story : mourir jeune n’a rien d’une grande réussite à mes yeux; vieil- lir, bien. C’est une histoire que j’avais toujours voulu raconter, sans avoir encore trouvé le sujet qui me le permette sans être rasoir. J’avais bien pensé tourner un film sur cette pension de Hollywood, qui ac-cueille des gens ayant travaillé dans l’industrie du cinéma. Mais il n’y avait ni cette lumière ni l’énergie que l’on retrouve ici… »

Punk à 80 ans

Le film va, dès lors, bien au-delà du gimmick de seniors interprétant des standards du rock, pour s’attacher à une série de tranches de vie et leur mise en perspective. Et introduit, à cet effet, de multiples ruptures de ton, narratives ou esthétiques. Ainsi, naturellement, des moments, nombreux, où le réalisateur délaisse le strict terrain musical pour s’immiscer dans la vie et l’intimité des choristes.  » J’ai toujours voulu que la musique serve de véhicule à autre chose« , observe-t-il. Mais aussi, exemple paradoxalement plus surprenant, de ces sidérantes vidéos tournées pour l’occasion, et qui s’écartent radicalement de la narration documentaire.  » La raison évidente de les tourner, c’est qu’il s’agit d’un groupe de rock. Mais, plus important, le recul induit permet à ces chansons de devenir un commentaire sur l’action se déroulant dans le documentaire, on n’est pas prisonnier de la narration. Ainsi de la vidéo de I Wanna Be Sedated , tournée dans une maison de repos – il y a là de la colère, de la rébellion; pas besoin d’avoir 15 ou 20 ans pour être punk, c’est possible aussi lorsqu’on est octogénaire. »

Ou encore, exemple plus douloureux, de la vidéo enregistrée pour Road to Nowhere, et utilisée après que l’un des membres de la chorale soit amené à l’hôpital où il décédera – posant, au-delà de la dramatisation de l’histoire, la question du bon ou du mauvais goût dans le traitement d’un tel sujet.  » La famille m’a donné son accord. Dans un tel contexte, la chanson devient une célébration de la vie sur la route de la mort. »

Il s’agit là, sans doute, de l’enseignement essentiel qu’aura retiré Stephen Walker de l’expérience:  » Bien sûr, on en retient que la vie vaut la peine d’être vécue. Mais ce que j’ai vraiment appris, c’est que la vieillesse ressemble souvent à un champ de bataille où l’on se trouve en première ligne. Des gens sont tués tout le temps, et on peut fort bien être le suivant. Dans ces conditions, chaque moment compte. Je me suis demandé comment ils pouvaient continuer après la mort de Bob, et puis celle de Joe, mais c’est comme dans les batailles, on continue. Nous sommes plus choqués qu’ils ne le sont. » Démons- tration, d’ailleurs, dans une scène inouïe, où l’on voit les choristes railler la mort, et sa « lueur blanche », comme pour mieux conjurer le sort. Une mort abordée, du reste, sans façon – à l’inverse d’une société tendant à la nier.

A cet égard, le réalisateur se réjouit de l’émergence d’une culture senior envahissant aussi bien l’horizon des jeux vidéo que celui des grands écrans:  » Je suis convaincu qu’il y a encore et toujours, parmi les personnes plus jeunes, une peur de vieil-lir et de mourir dissimulée derrière l’ennui et l’indifférence. Mais nous allons tous passer par là; prendre la température a donc du sens, de même que les écouter, leur parler, partager du plaisir avec eux, apprendre de leur expérience. Si le public ressort de mon film avec, outre du plaisir, un aperçu plus sensible de ce qu’est la vieillesse, fort bien. Mais ce que je voulais par-dessus tout, c’est montrer ce qu’aimaient ces gens, ce qu’ils avaient fait et qui ils étaient, en brisant quelques stéréotypes. »

Mission accomplie, et bien au-delà. Documentaire à l’énergie communicative, feelgood movie bien de saison, Young@Heart devrait d’ailleurs connaître un prolongement de fiction, Working Title, ayant acquis les droits de l’histoire. D’ores et déjà, les spéculations vont bon train quant à l’identité des vieilles gloires du cinéma qui pourraient tâter du micro. No Future? Vous voulez rire…

Rencontre: Jean-François Pluijgers, à Paris

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