La belle de Gand

Martin Grégoire (à gauche) et Antoine Flipo, de Glass Museum: "Avec Stephaan, on s'est sentis assez vite sur la même longueur d'ondes." © PHILIPPE CONET

Après avoir séduit les Flamands de TaxiWars, STUFF. ou Bram De Looze, le label gantois Sdban Records attire les francophones ambitieux de Glass Museum, Azmari, ECHT! et Esinam.

« On a eu un rendez-vous avec Warner Jazz Allemagne et on s’est retrouvés face à une responsable qui, pas un instant, n’a parlé de musique. Mais de chiffres, de statistiques, d’économie, sans oublier le nombre de personnes qui venaient à nos concerts ou de likes qu’on avait sur Facebook. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le courant n’est pas vraiment passé. D’ailleurs, on n’a plus jamais eu de nouvelles. » Sur une terrasse forestoise, les deux musiciens de Glass Museum n’ont pas oublié cette non-rencontre germanique. La seule aussi avec une multinationale alors que le duo Martin Grégoire (batterie) et Antoine Flipo (claviers) a un second polichinelle discographique dans le tiroir. Prévue fin mars, la sortie vient d’être reportée, pour cause « d’événements « , au 24 avril. Après Deux -six titres parus au printemps 2018-, voilà donc Reykjavik, premier album complet des Tournaisiens qui ont délaissé leur label originel, le liégeois JauneOrange, pour d’autres aventures. Celles-ci prennent une autre couleur, verte en l’occurrence, celle du masque porté en public par Dr Lektroluv: dans le civil, ce DJ mangeur de dancefloor tous styles confondus, vu sur les plus grandes scènes belges, de Dour à Werchter, s’appelle Stefaan Vandenberghe ( lire par ailleurs). Il dirige Sdban Records, label de N.E.W.S., compagnie flamande de production et distribution basée à Gand. Sdban, c’est d’abord l’excellence de l’éclectisme et de la transversalité, où la production artisanale sur un nombre limité d’artistes -19 groupes/artistes signés en ce mois mars 2020- s’accompagne d’ambitions internationales. Certains noms dessinent déjà le paysage du nouveau jazz flamand venteux, comme Black Flower et la pointure STUFF., un fourmillant champ de références toniques qui donne envie. Notamment à Glass Museum. Martin, le batteur, explique:  » Pour notre premier disque, j’ai écrit un long mail à Stefaan Vandenberghe, en néerlandais, avec les formules de politesse ad hoc, le faisant relire pour être sûr que ce soit grammaticalement correct. Mais je n’ai jamais eu de réponse. » Cela ne devait pas être le bon moment, peut-être que Stefaan trimballait alors son masque verdache Lektroluv dans le stupre de l’italo-disco à fourrure ou autre improbable décadence dansante quelque part en Europe.  » Et puis, continue Martin, après avoir bossé sur les maquettes du nouvel album, on a réexpédié le résultat à Stefaan. Et là, il a réagi. » Face au futur Reykjavik, le boss de Sdban laisse tomber la garde et dit simplement qu’il accroche à ces plages prises d’assaut par des variantes jazz-électro, explosant d’écume orchestrale, tentées par le symphonic-rock sans forcément en adouber les grandeurs emphatiques.  » Il nous a d’abord parlé musiques et compositions, et on s’est sentis assez vite sur la même longueur d’ondes. »

Carte de visite

Jusqu’ici, les ventes de CD et de vinyles de Glass Museum se font essentiellement après les concerts. Mais à l’international, c’est un peu le quizz Spotify.  » Il y a deux semaines, on a joué à Ankara dans un concert organisé artisanalement, techniquement un peu bricolé mais avec beaucoup de coeur, par des étudiants universitaires. Qui nous connaissaient parce que l’un de nos titres, Electric Silence , a eu du succès sur les différentes plateformes d’écoute. » L’ambition 2020 du duo est donc de capitaliser, voire d' »industrialiser », la sympathie pour leur musique emportée par une énergie toujours très cinématographique. Au rayon fric -plus que jamais nerf de la guerre-, Glass Museum chiffre à environ 15 000 euros l’investissement consenti pour la fabrication de Reykjavik et des trois clips qui accompagneront sa sortie.  » Sur cette somme-là, on peut dire que Sdban Records prend environ la moitié à sa charge. »

Pour le groupe ECHT!, le label SDban est en soi un gage de qualité.
Pour le groupe ECHT!, le label SDban est en soi un gage de qualité.© PHILIPPE CONET

S’il y a un possible point commun entre les artistes signés sur le label gantois, c’est la charge organique, la façon dont les musiques sdbanoises se présentent, mais aussi les sous, le grisbi, le cash, l’euro.  » Ben oui, clairement, par rapport à la majorité des labels indépendants belges ou autres qui ne vont pas débourser un euro sur la production d’un disque. Là où ces compagnies vont se contenter de distribuer le disque -et encore, avec une promotion parfois inexistante-, Sdban aide l’artiste, y compris financièrement! » Dixit Bram De Looze, jeune pianiste flamand (1991), qui vient de sortir sur le label gantois l’album Colour Talk. Une pure exploration solo du clavier sans overdub ou flirts avec l’électro ou le rap: un geste acoustique entre jazz et musiques contemporaines, qui se donne des missions d’explorateur. Commercial, ce n’est pas. Mais ambitieux, oui. Si Bram est allé vers Sdban, c’est parce qu’il a compris que le label était comme une boîte aux lettres, libre et ouverte, sans restriction artistique pour y mettre de nouveaux destinataires. C’est également ce qui a séduit la Bruxelloise Esinam -on est de retour en francophonie belge-, qui a sorti à la rentrée 2018 un EP sur le label.  » A priori, je voulais tout gérer en autoproduction mais mon management -Aubergine- a proposé d’envoyer la musique à Stefaan. Et il a extrêmement bien réagi, de façon enthousiaste face aux morceaux. » Une année et demie plus tard, Esinam, occupée à boucler son premier album, analyse le fait d’être une artiste Sdban:  » J’aimais déjà des groupes du label comme STUFF. ou Black Flower et le fait de partager le même bateau qui, de toute évidence, ouvre des portes par la simple réputation de Sdban. C’est comme une carte de visite de qualité, particulièrement en Flandre, ce qui m’a amené des concerts que je n’aurais peut-être pas pu avoir en dehors de cette identité. Et puis, lorsque j’ai rencontré Stefaan lors d’un meeting à Bruxelles, il m’a beaucoup parlé musique. Le courant est passé… »

Bouillon bruxellois

Cette impression de priorité musicale de Stefaan/Sdban apparaît dans toutes les interviews menées pour cet article. Florent Jeunieaux d’ECHT! abonde dans le même sens:  » Quand je suis allé voir Stefaan à Gand, ça m’a fait plaisir de savoir qu’il était vinylophile, qu’il avait aussi le plaisir de l’objet. Il m’a montré la réserve du label avec tous ces rayons de LP et j’ai compris que pour lui, produire de la musique était proche de notre propre dynamique. Jusqu’ici, la signature chez Sdban a amené quelques passages en radio chez Gilles Peterson et Wild FM (station hollandaise, NDLR) , comme si le label de Stefaan était de toute manière un gage de qualité. Il y a différentes conséquences, du côté francophone, mais aussi du côté de ce projet de live à Gand qui devrait se confirmer ». Histoire d’enfoncer le clou -si nécessaire- et de vendre l’élasticité musicale de Sdban, citons le cas d’Azmari. Un bouillon bruxellois trempé dans l’ethio-jazz  » avec des sons d’Afrique et d’Orient, du groove et du psychédélisme », décrit Arthur Ancion, batteur et tête parlante du groupe de six musiciens. Celui-ci a sorti son EP chez les Gantois en 2019 et un second devrait paraître dans la même maison en octobre.  » Notre premier EP a été complètement enregistré, fabriqué, mastérisé, pressé par nous. Sdban a distribué. Mais pour le second, on se sent soutenus et la sortie se fera en beaucoup plus d’exemplaires. Ce sont des gens extrêmement ouverts, qui n’ont jamais essayé d’empiéter sur l’artistique. Ils ont un côté très familial et Stefaan prend le temps d’aller déjeuner avec nous. Et même de régler l’addition! »

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