Pour son affiche 2014, on ne peut pas dire que la RBMA a joué la facilité. A Tokyo, la liste d’invités comptait pas mal de noms pointus, ou d’artistes « de niche ». Au milieu de cette programmation resserrée, il restait malgré tout un peu de place pour quelques grosses pointures. Carl Craig par exemple. Le DJ/producteur de Detroit, héros de la seconde vague techno, était bien l’un des incontournables. A la base, il n’était prévu que pour la soirée de clôture. A la dernière minute, il donnera cependant encore une « lecture », passionnante, devant les « académiciens ». L’occasion de revenir sur les origines de sa passion. Quand par exemple, gamin, il allait danser avec ses patins dans les roller disco. Ou qu’un peu plus tard, il restait l’oreille collée à la radio, au milieu de la nuit, à écouter les émissions de The Electrifying Mojo, célèbre DJ de l’époque.

Avant de débuter la discussion, Craig fait d’ailleurs éteindre les lumières de la salle et passe un extrait de l’émission. « If you would like to become a member of the Midnight funk association, stand up! », annonçait par exemple le DJ, avant de balancer le Flash Light de Parliament, un classique de Kraftwerk ou le dernier morceau de Prince. « Detroit a toujours supporté Prince à mort. Il faut réécouter The Ballad of Dorothy Parker sur Sign O’ Times, son dernier grand album selon moi. Le boulot qu’il a réalisé avec les drum machines était révolutionnaire. Il faut réécouter la complexité de leurs structures, la manière dont il les greffe aux paroles. » Au départ, Craig s’imagine même devenir guitar hero, et enchaîner les soli héroïques à la manière de Roger Nelson. A la place, après s’être fait jeter de son premier groupe, il s’achètera un Prophet 600, un synthé-séquenceur sur lequel il pondra ses premiers paysages sonores…

Au départ, il publie ses morceaux sous un pseudo. « A cette époque-là, je bossais avec Juan Atkins, comme assistant. Il avait reçu un exemplaire de Neurotic Behavior et se demandait qui avait bien pu produire le morceau… » Craig est alors fidèle aux idéaux des pionniers de la scène techno de Detroit, farouches partisans de l’anonymat. Depuis, les choses ont évidemment un peu évolué. Et si l’intégrité de Carl Craig et son sens de l’aventure ne sont pas vraiment à remettre en cause, on le titillerait bien sur l’idée de se voir associer aujourd’hui à une marque de boisson énergisante (fusse-t-elle crédible et conséquente dans son implication dans les musiques électroniques)… On s’abstient pour cette fois-ci. Par contre, quand on le recroise un peu plus tard à la cantine de l’académie, on ne peut s’empêcher de lui demander: lui qui a vécu en direct la révolution électronique, une époque où tout était neuf et novateur, pense-t-il qu’il y a encore moyen d’amener de nouvelles choses? « Je vois bien ce que vous voulez dire. Vous avez écouté le dernier album d’Aphex Twin? Il ne surprend pas, il sonne un peu comme le disque d’un homme âgé, je suis bien d’accord. Mais à côté de cela, il continue de se passer plein de choses intéressantes. Je n’ai pas envie de me laisser enfermer dans la position de celui qui ressasse le passé, qui pense que c’était mieux avant. » Message bien reçu.

L.H.

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