À LA FAVEUR DE LA PARUTION DE SON AUTOBIOGRAPHIE, RETOUR SUR LE PARCOURS DE BUSTER KEATON, GÉNIE DU BURLESQUE, L’ÉQUIVALENT D’UN CHARLIE CHAPLIN OU D’UN HAROLD LLOYD.

« L’immortalité de Buster Keaton tient dans son regard. » Enoncée par Robert Benayoun dans l’essai qu’il consacrait au comique américain en 1982, cette affirmation ne souffre guère de contestation. La première image qui s’impose en effet, à l’évocation du Mécano de la Général, c’est son masque impassible, qui devait d’ailleurs lui valoir d’être invariablement désigné comme « l’homme qui ne rit jamais » tout au long de sa carrière. La parution de La mécanique du rire, son autobiographie, coécrite avec Charles Samuels en 1960, et rééditée par Capricci, vient fort à propos éclairer le parcours de l’artiste tout en l’inscrivant dans son époque -né en 1895, Keaton allait grandir avec le cinéma, dont il allait accompagner l’élan initial, du règne du burlesque à l’avènement des « talkies », prélude à sa chute, cruelle.

L’histoire est passionnante, qui débute sur les planches, partagées avec ses parents pour les numéros des « trois Keaton ». Sans doute, du reste, son emploi précoce de « serpillière humaine », projetée sans ménagement par son père sur les scènes de music-hall américaines, n’est-il pas étranger à l’incroyable virtuosité d’un corps semblant défier les lois de l’apesanteur, une qualité qu’il met à profit dès 1917 dans les courts métrages qu’il tourne pour son compère Roscoe « Fatty » Arbuckle. « Pour moi, la grande révélation du cinéma, c’est qu’il pouvait aller infiniment plus loin que les limites étroites du théâtre », écrit Keaton. Possibilités qu’il ne se fera faute d’exploiter, volant bientôt de ses propres ailes, et imposant, outre un sens aiguisé du gag, celui, non moins affûté, de la composition. L’art de Buster (« gros malin ») est une mécanique de haute précision, en effet, à laquelle semble présider une logique aussi imperturbable qu’hilarante -de quoi faire de lui l’équivalent des Lloyd et Chaplin, pas moins.

Keaton a toutefois le trait modeste et lucide, autant que le regard avisé. Ainsi, s’agissant de cerner ce qui le différenciait d’un Chaplin: « Le vagabond Charlot était un marginal, avec une mentalité de marginal. Sympathique, mais prêt à voler à la moindre occasion. Mon petit personnage était honnête et travailleur. » A quoi l’on ajoutera qu’il ne cherchait aucunement à susciter la pitié. Pas plus d’ailleurs que Buster lorsqu’il évoque une déchéance imbibée. Mais soit, s’immisçant dans les coulisses du Hollywood d’alors, il y a là toute une vie de cinéma, et plus encore, dont certains épisodes insouciants semblent sortis tout droit des Aventures de Huckleberry Finn. Ainsi d’un canular dont fut victime un confectionneur belge de L.A., persuadé d’avoir accueilli le couple royal… La postérité devait rendre justice à Keaton, dont le génie et la poésie funambule sont unanimement salués. Car si on l’a encore surnommé, suivant l’endroit, Malec ou Pamplinas, soit quelque chose comme « un petit bout de rien du tout », il était assurément un grand bonhomme…

BUSTER KEATON ET CHARLES SAMUELS, LA MÉCANIQUE DU RIRE, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ETATS-UNIS) PAR MICHEL LEBRUN, ÉDITIONS CAPRICCI, 324 PAGES.

TEXTE Jean-François Pluijgers

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