Philippe Faucon place deux femmes Dans la vie, pour un beau film émouvant où l’amitié remplace la haine et les préjugés.

L’une est juive, l’autre arabe et musulmane. Esther et Halima n’étaient pas destinées à devenir des amies. Les circonstances, pourtant, feront d’elles des complices dans l’attachant et lumineux Dans la vie ( voir notre critique dans Focus du 11 avril en page31) le nouveau film de Philippe Faucon ( Samia, La Trahison) actuellement dans les salles. Sur fond de haine entre Juifs et Arabes, suite à l' »importation » du conflit israélo-palestinien en France, ce récit au féminin pluriel évite les pièges du sentimentalisme pour engendrer une sobre et réelle émotion. De quoi exprimer, avec une belle justesse, l’espoir d’un futur où dialogue et mélange résisteraient aux sirènes du repli sur soi et du rejet de l’autre. Le regard doux et rêveur derrière des lunettes de fin métal, le réalisateur commente pour nous, d’une voix posée cherchant parfois longuement le mot le plus adéquat, une £uvre en forme d’antidote à la montée des préjugés communautaristes.

Focus: généralement, quand un film veut évoquer l’espoir pour un avenir meilleur, c’est aux enfants ou en tout cas aux jeunes générations qu’il demande d’incarner cet espoir. Une des originalités de Dans la vie est de se tourner vers deux mères déjà âgées, à rebours des conventions.

Philippe Faucon: ce n’était pas au départ une volonté consciente. Mais quand nous(1) avons d’abord essayé d’exprimer les thèmes du film à travers les rapports entre personnages plus jeunes, nous nous sommes trouvés confrontés à des difficultés. Les jeunes réagissent dans le reproche exacerbé, avec impatience, et souvent frustration. Ils ont du mal à prendre quelque distance par rapport aux choses, à prendre le temps – surtout – d’appréhender une question complexe, où tout n’est pas en noir et blanc avec des bons d’un côté et des mauvais de l’autre. Les mères du film ont un important vécu, elles ont traversé des épreuves, et chacune a en elle la force de s’extraire de l’opinion commune, de tout ce qui est véhiculé autour d’elle par l’entourage familial, le voisinage, tout ce qui se répète et qui réduit l’autre à des clichés, à des préjugés. Elles n’ont bien sûr pas voulu ce qui va leur arriver, mais elles ont dans leur expérience accumulée de quoi en tirer un parti positif. Peu à peu, au contact l’une de l’autre, elles vont se mettre à exprimer des choses qui sont plus dans leur vraie nature, et qui vont les affranchir des pseudo vérités répétées autour d’elles. Elles ne craindront pas de braver leur communauté et de ne plus penser comme on voudrait qu’elles pensent! Peut-être faut-il être « accompli », comme elles peuvent l’être, connaître aussi le poids de la douleur, de l’isolement, pour oser cela. Peut-être quelqu’un de jeune, de plus fougueux, n’en serait pas aussi capable.

Au départ, elles vivent chacune une forme de solitude…

Oui, de manière différente. L’une, Esther, est dans un fauteuil roulant, elle en a marre de dépendre, d’avoir besoin de quelqu’un d’autre pour la laver, l’habiller. Elle n’est pas résignée, elle se révolte contre les limites que son état de santé met à son existence. L’autre, Halima, n’est jamais beaucoup sortie de chez elle, elle s’est consacrée à sa famille, n’a pas vraiment pensé à elle-même. Elle non plus n’est pas résignée, elle saura sortir de son rôle exclusif de mère et d’épouse. Entre ces deux solitudes va se produire une authentique rencontre. Et aux préjugés, aux à priori, aux constructions imaginaires qu’elles peuvent avoir en tête l’une vis-à-vis de l’autre, va succéder une compréhension.

Le contexte du film est celui d’une importation du conflit du Proche-Orient dans le tissu même de la société française…

Beaucoup d’enseignants, voyant le film, me parlent spontanément de ce phénomène qui touche en tout premier lieu les jeunes. De nombreux jeunes Français d’origine maghrébine, qui sont victimes d’exclusion, qui ne pensent pas avoir les mêmes chances que les autres (dans l’accès au travail, notamment), s’identifient à la situation des Palestiniens. Avec pour conséquence des réactions émotionnelles très fortes, violentes parfois, vis-à-vis des Juifs… A la prochaine rentrée scolaire, Dans la vie sera proposé dans les dispositifs destinés aux collèges et lycées. J’espère qu’il sera vu et qu’il suscitera le débat.

Comment avez-vous trouvé vos deux interprètes principales?

Après avoir décidé de prendre des comédiennes non professionnelles, nous avons fait des recherches via petites annonces et messages sur radios communautaires, via l’ANPE (2) et certaines associations de femmes. Ariane Jacquot et Zohra Mouffok ont été choisies au terme d’auditions pas faciles du tout, car les deux personnages ont à parcourir un registre d’émotions très étendu, allant de l’affrontement à la complicité, de la colère à la redécouverte du plaisir. Bref, des choses très fortes et très différentes à jouer. Ariane et Zohra ont des parcours de vie assez semblables à ceux des personnages. Elles ont traversé des épreuves, ont recommencé leur vie dans un autre pays, ont dû se battre et s’imposer. Leur vitalité, leurs ressources intérieures, m’ont convaincu qu’elles pourraient faire exister Esther et Halima.

Votre film est porteur d’un espoir réel mais fragile. Etes-vous optimiste quant à l’évolution des choses?

Il existe des gens qui sont des acteurs de rencontre et de compréhension. Certains artistes le sont, notamment. Mais ces gens ne peuvent pas tout résoudre. Dans une société en crise, qui connaît de grandes difficultés, il y aura toujours des tendances à la fermeture sur soi, au rejet de l’autre, à la dénonciation de l’autre comme responsable de ce qui ne va pas. Nous vivons une époque qui n’est pas simple, et où beaucoup tendent l’oreille aux discours d’exclusion. Il ne sera pas facile d’établir des ponts et de s’entendre les uns les autres…

(1) Philippe Faucon et sa compagne Yasmina Nini-Faucon, productrice du film et très impliquée dans le choix du sujet. (2) L’Agence Nationale Pour l’Emploi. www.pyramidefilms.com

INTERVIEW LOUIS DANVERS

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