AUTEUR D’UN PREMIER TUBE EN 2011 (NIGHT AIR), IL ÉTAIT BIEN PARTI POUR DEVENIR LE NOUVEAU WONDERBOY DE LA POP MADE IN UK. À LA PLACE, JAMIE WOON A PRÉFÉRÉ FAIRE UN PAS DE CÔTÉ ET SE FAIRE OUBLIER. POUR MIEUX REVENIR EN CHANTEUR SOUL SOPHISTIQUÉ ET INSPIRÉ.

La rencontre précédente date de 2011. Dans les coulisses du Vooruit, à Gand, quelques minutes avant de monter sur scène, Jamie Woon revenait sur le succès de son premier single Night Air, et l’emballement autour d’un premier album attendu un mois plus tard. « Pour la première fois de ma vie, je ne contrôle plus tout à fait mon agenda », avouait-il alors. C’était lâché dans un soupir, et à vrai dire avec une certaine angoisse dans la voix. De fait, la machine s’est emballée. Pour être clair, ce n’est pas un hasard s’il a fallu attendre quatre ans pour que l’Anglais livre une suite, le tout nouveau Making Time, petite douceur automnale, tout en soul ouateuse… Avec le recul, il raconte aujourd’hui: « A un moment, j’ai dit stop. J’ai arrêté simplement de coopérer. On voulait me faire prendre un certain chemin vers un certain type de succès, qui ne me correspondait pas. » Mais encore? « Je veux être au plus près du processus de création, que la lumière reste mise sur la musique, d’abord et avant tout. Je ne veux pas avoir à réfléchir sur la manière de m’habiller, mon look, tout ça… Et en même temps, mes morceaux finissaient malgré tout dans les hit-parades. C’était très bizarre. Parfois, je me retrouvais invité sur une radio mainstream. Souvent, on me demandait de faire une reprise d’un des morceaux de la playlist. Je n’en connaissais jamais aucun! Pire: je n’en aimais aucun » (rires).

Soyons zen

Ces dérives show-biz, Jamie Woon aurait pourtant pu les voir venir. Né en 1983, à Londres, il est fils unique d’un père sino-malais et d’une mère écossaise. Avec elle, le fiston a pu, très tôt, avoir un aperçu des coulisses de l’industrie musicale: chanteuse folk, Mae McKenna a en effet fait des choeurs sur des tubes de Stock-Aitken-Waterman, Blur, Björk ou même Michael Jackson! « Je trouvais ça très cool. Beaucoup plus que ses concerts folk où elle chantait en gaélique dans des petits clubs pourris. Je ne comprenais pas pourquoi elle s’acharnait à faire ça. Aujourd’hui, j’ai un peu revu mon jugement… »

A 15 ans, après un stage estival de musique aux Etats-Unis, suivi pendant que sa mère enregistrait un disque à Nashville (Shore to Shore), Jamie Woon compose ses premiers morceaux. Dans la foulée, il s’inscrit à la Brit School, la fameuse école où sont passées Amy Winehouse (il fera ses premières parties), Adele… Plus tard, il démarre dans les milieux folk-jazz, avant de tomber dans la marmite électronique. The xx sort alors son premier album, James Blake fait de même en 2011. C’est l’époque du « quiet is the new loud », celledes tubes que l’on murmure plus qu’on ne les hurle. Un boulevard s’ouvre pour Mirrorwriting, premier album de Jamie Woon, dont la langueur nocturne fera un carton. L’intéressé est alors flatté, étourdi, mais aussi très vite perplexe: le disque, dont la confection avait apporté une certaine paix intérieure, le plonge dans un nouveau tourbillon. « C’est exactement ça! (rires) Puis, en faisant ce disque, j’avais appris à mieux me connaître, à essayer de communiquer quelque chose de complexe. L’ironie est qu’une fois l’album lâché, vous vous retrouvez à gérer les retours du public ou les questions de la presse, qui, vu la teneur mélancolique de l’album, vous ramènent souvent dans des conversations très déprimantes. »

A un moment, alors que le disque continue toujours de fonctionner, Jamie Woon doit annuler une partie de sa tournée. Officiellement pour blessure. « Ce n’était pas une excuse bidon. Je m’étais vraiment fait mal, en jouant au foot. Après, il n’est pas interdit de penser que mon corps a peut-être facilement psychosomatisé… « 

Soit. Au bout du compte, il décide de toute façon de faire un pas de côté, et de reprendre sa vie et sa musique en main. Il loue une maison dans le sud-ouest de Londres, dans un quartier « conservateur, rempli de vieux bourgeois très chic ». La propriétaire –« elle se faisait passer pour une guérisseuse »– y a installé un studio dans la cave. C’est là que Woon invite les fidèles Dan See (batterie) et Dan Gulino (basse) pour jammer. « Ils sont nés dans le même hôpital à deux jours d’écart! Ce sont surtout deux musiciens incroyables. Je savais que si j’arrivais à pondre des morceaux avec une section rythmique pareille, j’aurais les fondations pour quelque chose de bien. »

En l’occurrence le nouveau Making Time, le bien nommé. Jamie Woon a en effet voulu prendre son temps, quitte à se faire oublier. Il s’agissait de ralentir la cadence, de se retrouver. De laisser surtout les morceaux respirer pour leur donner l’épaisseur qu’ils n’avaient peut-être pas toujours sur l’effort précédent. Comme une recherche de simplicité et de plus grande fluidité. Qu’il faille y voir une trace de ses origines asiatiques ou non, peu importe: il y a bien quelque chose de zen dans la soul de Jamie Woon, version 2015. Jusque dans les titres des morceaux, qui se limitent, à une exception près, à un seul mot: Celebration, Forgiven, Movement« Si vous focalisez votre attention sur un seul mot, vous en découvrez plus facilement toute la richesse, toutes les différentes significations qu’il peut recouvrir -pour vous et dans l’absolu. Cela relève presque de l’exercice de méditation, quitte à glisser parfois dans l’abstrait. » A l’image de la composition visuelle de la pochette de l’album, en quelque sorte. « J’ai lu pas mal de livres sur le wabi-sabi (conception esthétique japonaise, insistant, pour faire court, sur la notion de simplicité et d’imperfection, NDLR). On y retrouve l’idée de jouer sur la beauté très humble des matériels utilisés, de présenter et disposer les choses très clairement. C’est un peu ce que j’ai voulu faire avec ce disque. »

JAMIE WOON, MAKING TIME, DISTR. UNIVERSAL. EN CONCERT (COMPLET) LE 10/11, AU BOTANIQUE, BRUXELLES.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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