LE MUSÉE DE LOUVAIN OFFRE AU DESSINATEUR AMÉRICAIN CHARLES BURNS SA PREMIÈRE GRANDE RÉTROSPECTIVE. AMBIANCE NOIRE, SCÉNOGRAPHIE LUMINEUSE: ON Y CÉLÈBRE UN ARTISTE, PAS SEULEMENT UN AUTEUR DE COMICS.

Dans ses souvenirs, il y eut une première fois, à Philadelphie:  » Juste quelques originaux, des vieux travaux, et dans une pièce plus petite que le sas d’ouverture qu’ils m’ont offert ici! J’ai fait d’autres expositions bien sûr, des planches, des illustrations. Mais une rétrospective de cette ampleur, non, jamais. Ici, il y a vraiment un peu de tout, pas que les comics. » Pas que les comics, non: cette rétrospective Charles Burns, l’un des dessinateurs les plus appréciés et célébrés dans et en dehors des Etats-Unis, via ses collaborations avec Art Spiegelman, ses illustrations et ses romans graphiques comme Black Hole ou Toxic, s’ouvre sur… un film ( Peur(s) du noir). Elle se poursuit avec les albums des autres, puis avec des photos et des pochettes de disque. Autant de graines qui ont germé dans son crâne. Les planches et les originaux sont évidemment nombreux, et épatants. Mais ils se regardent à l’ombre d’une fresque immense, typiquement « burnsienne », créée pour l’occasion. Tout en encre noire, mêlant l’esthétisme et le malaise. Le beau et l’inquiétant. Le rêve américain, et le cauchemar qui en découle. L’expo Charles Burns n’est pas celle d’un auteur de comics, mais celle d’un artiste contemporain. Et elle vaut mille fois le détour, bien que ce n’en soit pas un: Louvain, c’est à côté.

 » Charles Burns est un artiste qui a aboli depuis longtemps les frontières entre la bande dessinée et les autres arts graphiques ou visuels, expliquent en c£ur les Louvanistes de Beeld & Beeld, à l’initiative de cette exposition. Il a pratiqué l’illustration, l’architecture, a réalisé des décors de théâtre, fait de l’animation, de la photographie, même des travaux typiquement publicitaires… Il est la parfaite incarnation des ambitions du Mmêler les disciplines-et évidemment de notre association-sortir la bande dessinée de son ghetto artistique, et traiter ses artistes à l’égal des autres arts graphiques. » Ilke Christiaens, Frederik van Wonthergem et Bart Pinceel n’en sont pas à leur premier fait d’armes: en 1999, ils consacraient déjà une expo à Daniel Clowes et Chris Ware, 2 autres références majeures du 9e art US et contemporain. Un chemin qui croisera ensuite celui d’Ever Meulen, Hanco Kolk, Munoz ou Dave McKean, et qui les a naturellement menés jusqu’à Burns. Avec le M aujourd’hui comme vitrine: entièrement repensé jusque dans son architecture il y a 3 ans, le Musée de Louvain entend désormais peser dans le paysage culturel flamand, et faire de l’ombre au SMAK de Gand ou au MuHKA d’Anvers, en mêlant collection d’arts anciens et expositions temporaires contemporaines. Les expos de Beeld & Beeld étaient jusqu’à présent confinées dans la bibliothèque de la ville. Elles possèdent aujourd’hui un écrin qui leur va effec- tivement comme un gant: rien que l’escalier d’entrée, rempli de sculptures flamandes et de gothique flamboyant, est une invitation aux rencontres improbables. Comme peut l’être l’étrange univers de Charles Burns.

Métaphores épidermiques

 » Je ne cherche pas à distiller le malaise, ou l’inconfort, commente, ravi d’être là, l’artiste au verbe avenant mais au cerveau torturé. Je cherche juste à raconter mes histoires, à être réaliste, honnête, sur le monde qui m’entoure. Et ça, cette honnêteté sur ce que nous sommes, oui, ça peut sembler inconfortable à beaucoup. Personne n’aime vraiment regarder la réalité en face. C’est ce que j’essaie de faire, il ne faut pas se tromper. Plus jeune, dans ma période punk, des amis voulaient me montrer des photos d’accidents, des opérations de chirurgie dentaire en me disant: « Tu vas adorer! » Mais non! C’est autre chose que je scrute, des traumatismes plus intérieurs. Même si j’utilise des métaphores très visuelles pour les exprimer. »

Les métaphores de Burns sur le « Côté Obscur » de l’Amérique sont, effectivement, depuis toujours, épidermiques. Depuis Raw, le magazine de Spiegelman, Burns matérialise ses angoisses intérieures et ses thématiques (traumas adolescents, maturité sexuelle, déviances de l’American Way of Life) par l’altération de la chair, les métamorphoses physiques, la conjugaison imparfaite du corps et de l’esprit. La silhouette adulte de Big Baby, les êtres hybrides de ses Detective Stories, le catcheur difforme El Borbah, les adolescents pestiférés et mutants de Black Hole… Tous incarnent physiquement les vicissitudes du modèle américain. A 56 ans, l’Américain poursuit son travail et élargit encore son spectre; avec sa trilogie Toxic, dont il vient de publier une nouvelle version, entièrement réécrite dans une langue imaginaire et dont il présente ici quelques planches du second volume, à venir, Burns fouille cette fois encore dans son enfance, mais aussi dans ses références graphiques, marquées par Hergé.  » J’avais 7 ou 8 ans quand on m’a mis un album de Tintin dans les mains, en français. C’était une langue imaginaire pour moi aussi, et je n’ai pu trouver à l’époque que 6 albums traduits. J’ai dû inventer toutes les autres aventures en me basant uniquement sur les dessins en dos de couverture. Une frustration énorme, mais qui a développé mon imaginaire, et qui m’a transformé. » Charles Burns connaîtra encore bien d’autres rétrospectives dans les décennies à venir. Puissent-elles s’inspirer de celle-ci. l

CHARLES BURNS AU  » M« , JUSQU’AU 11/03/2012. M- MUSEUM LEUVEN, VANDERKELENSTRAAT 28, 3000 LEUVEN.

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