Influent groupe franco-britannique, Stereolab a survécu à un décès (2002) et un divorce (2004). Laetitia Sadier et Tim Gane sortent aujourd’hui un album à la fois pop et labyrinthique.

La première fois qu’on a entendu Stereolab, on est immédiatement tombé sous le charme. John Cusack, vendeur de disques, se faisait aborder par une jolie cliente tandis que le faussement candide Lo Boob Oscillator résonnait en arrière fond. Une scène anecdotique d’ High Fidelity, adaptation cinématographique par Stephen Frears d’un roman très musical signé de la plume de Nick Hornby. Laetitia Sadier, bavarde, avoue aux Halles Saint-Géry ne jamais avoir vu le film. Aussi attachant soit-il, il ne marquera pas l’histoire du cinéma comme Stereolab a bouleversé celle de la musique. Pour nombre d’observateurs avisés, Stereolab est l’un des groupes britanniques les plus indépendants, novateurs, captivants et influents des années 90.  » Parfois, je reconnais quelque chose de Stereolab chez d’autres artistes mais pas davantage aujourd’hui qu’il y a quinze ans, commente Tim Gane. Au début, la plupart des gens qui achetaient nos singles et venaient nous voir en concert jouaient de la musique et possédaient leur groupe. Nous n’avons jamais enregistré pour plaire aux auditeurs désinvoltes… »

On est loin du discours d’un Noel Gallagher (Oasis) expliquant, au sujet de Wonderwall, qu’on devient une star en se faisant apprécier des péquenauds.  » Je n’ai jamais pensé que nous méritions davantage de succès, poursuit Gane. Au contraire. Nous nous voulons trop obtus, compliqués. Nous n’avons jamais fait quoi que ce soit pour devenir célèbres, populaires. Nous n’avons jamais cherché l’identification, le moule, l’approche blockbuster hollywoodien. » A l’inverse, Stereolab est abstrait, prend un malin plaisir à dérouter. Mélangeant habilement les styles qu’il s’agisse du Krautrock, de la pop, de l’électro, du jazz ou des musiques contemporaine, expérimentale et brésilienne…

Obsession

Sur Chemical Chords, leur nouvel album ( voir encadré), l’Anglais et la Française délaissent les longues plages noisy et atmosphériques. Ils préfèrent désormais les petites îles aux grands continents.  » Nous avons longtemps joué sur le côté répétitif de notre musique. En utilisant un minimum d’accords. Cette fois, nous avons raccourci le format. Imbriqué des centaines d’idées. J’avais besoin de restrictions. » Tim Gane a dès lors pensé aux arrangements pop des sixties et seventies.  » Je ne parle pas de faire la même musique qu’à l’époque mais d’un concept, d’une aura, d’une densité. On peut voir la chose comme un jeu, un puzzle, avec des obstacles à surmonter. Les Supremes, par exemple, empilaient un tas de grandes idées sur un court morceau. A force, quand tu as tout ton temps, tu as tendance à devenir fainéant. » Gane parle des techniques de collage propres au 20e siècle. Sadier trace des comparaisons avec le cinéma, le dernier Woody Allen…  » Cassandra’s Dream a été qualifié de naïf. Cela démontre ô combien les critiques et journalistes peuvent être snobs. Si un jeune l’avait réalisé, on aurait crié au génie. Or, ce film, superbement dirigé, va droit au but. Sans frivolité. Je pense aussi à Chabrol. Il a réalisé 60 films dans sa carrière et il a tout fait pour que tourner reste enrichissant. Derrière la surface, il y a l’abysse. »

Et derrière la musique de Stereolab, des textes souvent politiques, engagés, marxistes. Extrait du nouvel album, Nous vous demandons pardon s’adresse aux Algériens de France.  » Des gens que nous avons fait souffrir, que nous avons exploités. Et à qui, ok peut-être, nous avons amené une forme d’éducation. Mais dans l’ensemble, une population à laquelle nous avons fait beaucoup plus de mal que de bien. A travers ce morceau, je m’interroge sur le fait qu’on a tant de difficultés à demander pardon… Les rapports seraient plus détendus si on y était arrivé plutôt que de nous barrer en courant et d’adopter la politique de l’autruche. Mais voilà, s’excuser, c’est reconnaître ses erreurs. Or des erreurs, on préfère continuer à en commettre. » Laetitia n’est pas tendre envers ses dirigeants. « Les gouvernements ne sont pas là que pour nous emmerder, mener des guerres et déconner en notre nom. Pour l’instant, la fierté d’être Français signifie voter Le Pen… Nous avons besoin de c£ur, de bonne volonté. Faisons la paix et arrêtons d’entretenir la haine qui arrange les politiciens comme Sarkozy. »

Stereolab avait déjà survécu à la mort de Mary Hansen, sa claviériste et chanteuse, tragiquement décédée en 2002 sur son vélo dans un accident de la route. Le groupe a aussi résisté au divorce de Laetitia et Tim. « Nous n’avons jamais écrit de chansons ensemble, confie-t-elle. Guère très romantiques je le concède, nous avons toujours travaillé chacun de notre côté. Cela ne change pas grand-chose que Tim m’envoie sa compo de Berlin à Bordeaux plutôt que de la cuisine au salon. La musique a toujours été notre priorité. Dans tous les sens du terme. Nous n’avons jamais mis une photo de nous sur un disque. »  » Stereolab est une obsession, conclut Tim Gane . Quand tu as toujours les connexions, tu t’arranges pour ne pas débrancher les câbles. »

www.stereolab.co.uk

Texte Julien Broquet

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