Igor engourdi

Avec IGOR, Tyler, The Creator poursuit sa mue, faisant mine de s’ouvrir toujours plus, pour mieux se perdre dans un labyrinthe sonore aussi touffu que fascinant.

Cela fait tout juste dix ans que Tyler, The Creator a commencé à agiter le cocotier hip-hop. Aujourd’hui, le rappeur californien fait même carrément partie intégrante du paysage pop, au sens le plus large du terme. Le jeune chien fou est devenu une référence, voire une influence pour certains nouveaux venus. C’est sans doute dû à son talent et à sa capacité à créer une musique innovante. Mais aussi à son aptitude à faire évoluer son personnage déjanté et provocateur -celui qui, par exemple, bouffait des cafards et finissait pendu à une corde dans le clip de Yonkers.

À cet égard, Flower Boy, son quatrième album, sorti en 2017, a marqué un vrai tournant. Il est aujourd’hui confirmé, voire appuyé, par son successeur, IGOR. Jamais, par exemple, on aurait cru pouvoir écrire à propos d’un disque de Tyler, The Creator qu’il était « attachant ». Drôle, dérangé, « goofy », absurde, abrasif, étrange… Tout cela faisait bien partie du programme. Mais pas que celui-ci comporte également, comme sur IGOR, une dimension plus ouvertement sensible.

Pour certains, cela ne fait d’ailleurs pas de doute : IGOR est carrément un disque de rupture. C’est ce que certains titres semblent en effet attester – Gone, Gone/Thank You, I Don’t Love You Anymore, ou encore, en toute fin de disque, Are We Still Friends? Dès le départ, Tyler, The Creator supplie: « Don’t leave/It’s My Fault », sur le single Earfquake. Sur Gone, Gone, il détaille la débâcle amoureuse, en en profitant au passage pour continuer d’entretenir le flou sur sa sexualité: « I hope you know she can’t compete with me ».

Igor engourdi

S’il se dévoile (ou fait mine de), paradoxalement, Tyler, The Creator semble pourtant souvent planqué dans ses propres morceaux. Une oreille distraite mettra par exemple du temps à reconnaître son timbre caverneux (le titre What’s Good). Le même traitement est réservé à ses invités (non crédités), comme Solange ou Kanye West. Riche, touffu, IGOR fonctionne en effet comme un mille-feuille musical dont le mélange hip-hop, funk, électro, soul ne commence à décanter qu’après plusieurs écoutes. On ne parle pas d’un disque compliqué, mais méticuleux dans sa manière de tordre les éléments. Dans un message sur Twitter, l’intéressé invitait à écouter IGOR très fort, et d’une traite, comme un véritable album. Les délires trash des débuts ont ainsi laissé la place à quelque chose comme la maturité – « tout ce tu as toujours fui, tu finis par courir derrière », clame même le comédien Jerrod Carmichael ( Exactly What You Run From You End Up Chasing).

À moins que? C’est que rien n’est jamais tout à fait clair, chez Tyler. Dans le clip de Earfquake, il continue ainsi de faire l’imbécile, en chanteur de variété, perruque blonde sur la tête, jusqu’à ce que le plateau de télé où il est invité ne prenne feu. Il revient alors, toujours déguisé, mais cette fois en pompier. Il a cessé les grimaces. À un moment, il ramasse un insecte au sol. Pour le sauver des flammes ou l’avaler? Allez savoir…

Tyler, The Creator

« IGOR »

Distribué par Sony.

8

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