Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Début octobre, Jay-Z, rappeur et entrepreneur, a donné deux concerts gratuits à Miami et Detroit pour « encourager le vote des jeunes » aux présidentielles du 4 novembre. Bien qu’associé à une rumeur faisant de lui – après Madonna – le prochain artiste à signer un deal global avec Live Nation (1), conglomérat texan proche du clan Bush, Jay-Z s’est clairement mis du côté des supporters de Barack Obama. Dans le bling bling du rap de ces dix dernières années, c’est un événement. D’autres stars noires comme Kanye West, Usher, John Legend, Black Eyed Peas, soutiennent aussi à haute voix le candidat démocrate. C’est la première fois que la communauté artistique black américaine intervient avec une telle conviction dans le destin politique de son pays depuis la période honteuse de la ségrégation des années 60. A cette époque, Nina Simone, Sammy Davis Jr et Harry Belafonte, rejoignent les marches de protestation d’une communauté black mise de facto en situa-tion d’apartheid, particulièrement dans les Etats du sud. Ce n’est qu’en 1968 que la Cour Suprême déclarera les lois raciales inconstitutionnelles. Le jour de l’assassinat de Martin Luther King, le 4 avril 1968, des émeutes éclatent à Detroit, Washington DC et Chicago: les business blancs brûlent. A Boston, le lendemain, James Brown maintient son concert et prêche la paix en direct à la télévision. La ville est épargnée parce que l’aura de Brown est – déjà – énorme: de fait, c’est le musicien afro-américain le plus important du dernier demi-siècle. Même s’il a toujours défendu les droits civils, cela ne fait pas forcément de lui un homme de gauche . Il soutiendra Nixon et les reaganomics, mesures ultra-libérales de l’acteur/président Ronald Reagan.

On peut lire la politisation des artistes blacks américains de façon fragmentée. Sly & The Family Stone, pionniers du funk-rock triomphant à Woodstock, est le premier groupe à succès mixant des musiciens noirs et blancs. Hendrix proteste contre l’iniquité de la guerre du Vietnam en déchirant l’hymne américain de guitares en feu. Périodiquement, certains artistes majeurs vont prendre la parole mais la plupart du temps, ce sera en chansons: par exemple, Marvin Gaye et son remarquable album What’s Going On sorti en mai 1971, fustigent une nouvelle fois le Vietnam et son arrière-base de pauvreté et de désespoir. Il aura donc fallu une autre guerre symbolique – l’Irak – pour que la conscience politique de la communauté noire refasse aussi vertement surface. Bien sûr, de The Last Poets à Public Enemy, de NWA à Ice T, des émeutes de Los Angeles dans la foulée de l’affaire Rodney King (2) au 11 septembre, des années 60 à 2000, les grandes gueules blacks l’ont ouvert, mais cette fois-ci, la vague qui agite aujourd’hui les artistes noirs est un courant de fond. Ils ont compris que l’élection de Barack Obama est essentielle à la survie d’une certaine idée de l’Amérique.

(1) On parle de 150 millions de dollars.(2) Le 29 avril 1992, malgré une vidéo accablante, un jury de Los Angeles acquitte quatre policiers blancs accusés d’avoir sévèrement passé à tabac un conducteur noir, Rodney King. Le jugement déclenche six jours d’émeutes ultraviolentes dans Los Angeles, causant 53 morts et un milliard de dollars de dégâts…

Philippe Cornet

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