Terre de tournage, le Maroc fait de l’oil au cinéma et du pied à Hollywood. En marge du Festival international du film de Marrakech, visite dans les studios de Ouarzazate.

Quand il débarque au Festival de Cannes en 1952, Othello sous le bras, Orson Welles, en instance de divorce avec Hollywood, refuse de présenter son film sous la bannière américaine. Avec une paire de ciseaux, du fil et quelques bouts de tissu, il imagine un drapeau marocain de fortune et le fait flotter sur la Croisette. Son geste est d’autant plus symbolique qu’à l’époque, le Maroc est encore sous domination française. Et qu’ Othello, partiellement filmé à Mogador, obtient la Palme d’or.

On peut traverser l’histoire du cinéma en évoquant le pays du Maghreb. En 1955, la place Jemaä El Fna voit Daniel Gélin se faire poignarder et mourir dans les bras de James Stewart devant les caméras d’Alfred Hitchcock pour son remake de L’Homme qui en savait trop. C’est encore à Marrakech qu’Henri Verneuil tourne 100 000 dollars au soleil avec Belmondo et Ventura. Que John Huston couronne L’Homme qui voulait être roi avec Sean Connery et Michael Caine… Mais aujourd’hui, c’est à Ouarzazate que se situent l’épicentre des tournages au Maroc et tout simplement les plus grands studios d’Afrique du nord. Les Rois Mages de Didier Bourdon? Ouarzazate. Babel d’Alejandro Gonzales Inarritu? Ouarzazate. La Colline a des yeux de Martin Weisz? Encore Ouarzazate.

La Porte du désert, comme on l’appelle au Maroc, redessine la carte du monde. Devient pendant quelques semaines l’Egypte ( La Momie), la Somalie ( La Chute du faucon noir) ou encore le Tibet ( Kundun).  » En regardant Tuer n’est pas jouer , on croyait Timothy Dalton en train de se battre contre les soldats soviétiques en Afghanistan. Bien non. Il était ici face à des figurants marocains« , rigole-t-on dans la région.

En attendant, Ouarzazate, c’est à 200 bornes et, quand on ne prend pas l’avion, 3 heures de bagnole de Marrakech. La route, sinueuse, sur laquelle les Marocains se prennent pour des pilotes de F1 et doublent dans les tournants (apparemment une coutume locale), fend les montagnes et réunit de minuscules hameaux parfois taillés dans la pierre. On aperçoit des femmes en train de laver leur linge dans la rivière. Jumelée avec Hollywood et… Maubeuge, Ouarzazate vit au rythme de ses studios: Atlas, Kanzaman ou encore CLA. Propriété de Dino De Laurentis et Saïd Alj, patron d’un important holding marocain, le CLA s’étend sur 160 hectares, abrite deux plateaux de tournage (2357 m2), quatre ateliers des métiers de décoration (2400 m2) et trois ateliers de production (2452 m2). Il possède un restaurant d’une capacité de 200 repas/heure, un local de costumes et habillages, une administration et même un atelier d’architecture.

En ce lundi matin évidemment ensoleillé, c’est cependant le désert. Faut dire que 2009 a été une année difficile. Victime de la crise économique, Hollywood sur sable a accueilli peu de productions étrangères sur le premier semestre. Préoccupant pour une ville où 90 % de la population vit d’une manière ou d’une autre de l’industrie cinématographique. Des chiffres? 1200 personnes oeuvrant dans les divers métiers du cinéma sont détentrices de cartes professionnelles délivrées par le Centre cinématographique marocain. Mais du figurant au menuisier, du vendeur de fruits et légumes au réceptionniste de l’hôtel, on estime à 100 000 le nombre d’habitants de Ouarzazate vivant du 7e art.  » Ouarzazate a tourné le dos au tourisme et décidé de tout miser sur l’industrie du film mais la ville va devoir trouver un nouvel équilibre car sans production, ça devient difficile, explique Brahim Sallaki, journaliste télé spécialisé dans le cinéma. On a constaté une sorte d’immigration vers Ouarzazate. Or, cette année, certains en sont revenus. Ont, momentanément ou non, fermé la porte de leur boutique. En même temps, deux mois de travail là-bas suffisent pour vivre un an au Maroc. »

Une voie royale

Ouarzazate a déjà connu des mauvaises passes. Ne serait-ce que fin 2001. Quand les événements du 11 septembre ont provoqué l’annulation des tournages américains prévus pour l’automne. Pour vous donner une petite idée, les 16 longs métrages, 6 téléfilms, autant de séries et 12 clips étrangers tournés au Maroc en 2008, ont drainé un milliard de dirhams (retirez un 0 pour les chiffres en euros) d’investissement.

En plus, tout le monde est content. Ridley Scott parle d’une économie de 50 % par rapport à un tournage hollywoodien. Le bonhomme est habitué au soleil marocain. Il a dardé de ses rayons Body of lies et Kingdom of heaven pour lequel d’autres états islamiques lui avaient refusé toute autorisation de filmer sur leur sol. Concurrencé par d’autres pays arabes comme la Jordanie et la Tunisie –  » eux aussi ont le désert« -, le pays a pris conscience qu’il devait y mettre de la bonne volonté et investir s’il voulait voir atterrir des tournages dans ses paysages arides.

Ainsi, sur initiative du Centre Cinématographique Marocain, le gouvernement a pris de nombreuses mesures en vue de séduire les producteurs étrangers. Le Maroc leur a accordé des remises, via Royale Air Maroc, sur le transport aérien des biens et des personnes. Il a appliqué une tarification symbolique sur le tournage dans les sites et monuments historiques. Exonéré de TVA tous les biens et services acquis dans le pays. Ou encore simplifié la procédure de dédouanement à l’import comme à l’export du matériel de tournage…

Plus surprenant encore, il apporte le concours de tous les corps officiels de l’Etat. Marine et Gendarmerie Royales, Forces armées et aériennes ainsi que Sûreté Nationale sont mis à la disposition des productions étrangères. Que ce soit pour l’encadrement des tournages ou les besoins de figurants en uniforme.

Le Maroc a été jusqu’à simplifier l’importation temporaire des armes et munitions nécessaires aux films. Mesure dont a notamment pu bénéficier un film d’action comme Le Légionnaire avec Jean-Claude Van Damme dès 1997.

 » Le palais porte le cinéma à bout de bras« , note Brahim Sallaki.  » Lorsque j’ai annoncé que je voulais venir filmer Kingdom of heaven au Maroc, le roi a demandé à me voir, confirme Ridley Scott. Il a commencé par me faire chevalier. Puis, après que je lui ai exposé le contenu de mon film, il l’a soutenu en obtenant aussi rapidement que possible toutes les autorisations nécessaires. Il nous a même fourni un millier de ses hommes de troupes pour toute la durée du tournage. »

Que gagne le pays dans l’affaire? Le renflouement de ses caisses en devises fortes, la formation gratuite pour son cinéma et l’amélioration de son image à travers le monde. Pour Brahim, Ouarzazate, c’est le terreau de l’industrie marocaine du 7e art.  » Les tournages étrangers ont permis le développement de notre cinéma. Au début des années 80, nous avons commencé à imposer des quotas. 40 % de technique et 30 % de ressources humaines marocaines. Au contact des Américains, nos équipes ont acquis de l’expérience qu’elles peuvent mettre à profit sur nos propres productions. »

Les quotas n’ont pas été revus à la hausse mais la participation des autochtones a augmenté significativement.  » Ce n’est pas une question de salaire. Les figurants touchent 60 dollars la journée. Un montant similaire à ce qui se fait à Hollywood. Mais les Marocains sont plus dociles. Plus travailleurs. Puis, ils sont sur place et dans certains domaines disposent d’un vrai savoir faire. Ridley Scott disait avoir économisé 8 mois de travail en ayant utilisé des cavaliers locaux pour le tournage de Gladiator. »  » Je vous déconseille quand même de tourner pendant le ramadan« , remarque le Français Julien Courbey.

Alors qu’on se promène dans les studios parmi les vestiges de tournages plus ou moins datés, (Ouarzazate possède même un musée), Aziz, notre guide, évoque les questions de sécurité.  » Les petits projets se contentent d’une protection marocaine mais pour les grosses prod avec des stars, les Américains débarquent avec leurs propres gardes du corps. Bien sûr, ils viennent avec beaucoup de choses, surtout quand il s’agit de leur première expérience chez nous. Mais je n’ai pas encore vu germer de McDonald à Ouarzazate…  » Un vrai cinéma marocain par contre émerge.  » Depuis 1998-1999, je constate une espèce de ferveur patriotique. Une envie de faire parler de sa culture. De son pays. Et le cinéma s’est engouffré dans cette brèche, analyse Brahim Sallaki. Jeune roi dynamique, moderniste, volontariste, Mohammed VI a encouragé toute la population à s’ouvrir sur le monde. Prenez les consulats et les ambassades. Structures rigides, avant tout dédiées à résoudre des problèmes administratifs, ils se sont mis à organiser des expos, à susciter des rencontres. »

Un cinéma d’auteur

Au Maroc, ces dernières années, des écoles de cinéma ont vu le jour. Certaines axées sur la technique, d’autres sur la création. Le tournage de grosses productions américaines a aussi contribué à l’essor du Festival international du film de Marrakech. Il lui a permis d’accueillir des pointures comme Martin Scorsese, Leonardo diCaprio, Morgan Freeman ou encore Sean Connery. Un vrai coup de pub qui a fait mal au Festival de Dubaï, son plus grand concurrent.  » Ici, le jury n’est pas payé mais à Dubaï, on allongeait même du fric aux Américains afin qu’ils ne viennent pas à Marrakech« , raconte Brahim.

Quoi qu’il en soit, l’événement annuel a propulsé le cinéma marocain à l’international et il défend de vrais films d’auteurs comme, lors de sa récente 9e édition, le radical The Man who sold the world de Swel et Imad Noury.  » Marrakech est l’occasion de contacts, de dialogues, de négociations. C’est ici que le film Number One a trouvé un distributeur pour l’étranger. Huit salles en France, c’est peu certes. Mais c’est mieux que rien. Ouarzazate a permis de développer un fonds d’aide et de préachat. Avec l’arrivée de Noureddine Sail à la tête du Centre Cinématographique Marocain, le pays est passé de 3 films et demi par an à une petite quinzaine de longs métrages faisant tous carrière avec plus ou moins de bonheur. » De Marrakech à Rabat, en passant par Ouarzazate et Casa, on n’attend plus qu’un vrai Marocain pour succéder à Orson Welles dans les palmarès cannois.

Texte Julien Broquet, à Marrakech.

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