Avec un marché de 3,2 milliards de spectateurs par an, américaines. Mais pour espérer mettre un pied les standards locaux…

Inde. Début novembre 2007. La population est en effervescence. Depuis des semaines, voire des mois, les Indiens préparent Diwali, la fête de la lumière. Elle est à l’Inde ce que Thanksgiving est aux Américains et Noël aux Européens. Les Indiennes sont plus élégantes que jamais. Les villes à majorité hindoue brillent de mille feux… Mais c’est sous d’autres feux qu’un combat acharné se prépare. A l’occasion d’une des plus incontournables fêtes du sous-continent, deux monstres sacrés s’affrontent par écran de cinéma interposé. Red Chilies Entertainment et Sharukh Khan, la star des stars indiennes, d’un côté. Sony Pictures Entertainment et sa division International Motion Picture Production, de l’autre. Tous deux ont décidé de sortir leur blockbuster de l’année – Om Shanti Om pour l’un, Saawariya pour l’autre – à l’occasion de ce nouvel an hindou. Pour Sony, c’est une première. Jamais auparavant, la major hollywoodienne n’avait réalisé un film 100 % indien- fait par des Indiens, pour les Indiens. Et c’est Sanjay Leela Bhansali, réalisateur de Devdas, un mélodrame aux décors somptueux présenté hors compétition à Cannes en 2002, qui en a été chargé.

Le public n’a pas boudé l’événement. En à peine un week-end, les deux films ont généré respectivement 19 et 15 millions de dollars. Si Om Shanti Om est arrivé en tête, Saawaryia s’en est donc très bien tiré.

UN MARCHé JUTEUX

Cela fait des années qu’Hollywood lorgne Bollywood avec envie. Avec une population de plus d’un milliard d’habitants, l’augmentation – pour une partie d’entre eux du moins – du pouvoir d’achat et la passion légendaire des Indiens pour le cinéma, le sous-continent présente un marché potentiel juteux. Le « hic » c’est que les majors ne parviennent pas à percer avec leurs films. D’une manière qui semble immuable, les Indiens détiennent 95 % des parts de marché, les productions étrangères, toutes nationalités confondues, se partageant le maigre solde. Il faut dire qu’aucune autre industrie du cinéma ne parvient à concurrencer la prolixité indienne. Avec quelque 1 000 films par an, le pays est le plus gros producteur de films au monde. A titre de comparaison, les Etats-Unis réalisent environ 600 films à l’année et la France, autour des 200… Autre obstacle: le style du cinéma indien qui est tout aussi inimitable qu’irremplaçable. La plupart des films mêlent avec un talent qui leur est propre chorégraphies, chants, mélodrame et jeu d’acteur souvent théâtral. Et les Indiens vouent un véritable culte à cette réunion des différents arts. Ils ne sont pas pour autant totalement hermétiques aux productions étrangères. Les cinéphiles avertis vous parlent volontiers de Godart, Truffaut ou Wong Kar Wai. Quant aux films américains, s’ils rencontrent un public un peu plus large, leur succès est limité aux grandes métropoles telles Mumbai ou Delhi lorsqu’ils sont diffusés en anglais. Doublés, ils atteignent une audience nettement plus importante. Les majors américaines n’ont pas tardé à le comprendre. Et des films comme Casino Royale, Pirates des Caraïbes ou encore Da Vinci Code, pour ne parler que des sorties 2006, sont arrivés en tête du box office.  » En Inde, chaque Etat (il y en a 28) a sa langue, explique Shyam P.S., responsable film production & acquisition au sein de Walt Disney Studios Motion Pictures, India. La plupart des Indiens comprennent l’anglais, mais si nous voulons toucher une large audience avec un produit de divertissement comme un film, nous devons le faire dans la langue du pays voire de l’Etat. « La plupart des longs métrages ne sont cependant doublés qu’en hindi, parfois en tamil (langue parlée dans le Tamil Nadu) ou en telegu (Andra Pradesh).

INDIAN TOUCH

L’équation 95-5 reste pourtant inchangée. La tactique des majors hollywoodiennes, par contre, a amorcé un virage intéressant. Elles veulent aujourd’hui devenir partie intégrante de l’industrie indienne du divertissement (elles sont d’ailleurs également très présentes dans le secteur de la télévision). Elles ont dès lors décidé de produire des films « couleurs locales », confiant leur écriture et leur réalisation à des équipes indiennes chevronnées.  » Beaucoup de ces sociétés tentent d’approcher le marché indien depuis un bon bout de temps, explique ainsi à VarietyAsiaOnline Siddharth Kapur, directeur d’UTV Motion Pictures. Mais il y a une limite à la pénétration de contenu hollywoodien. L’audience indienne veut du local.  » Et Sunny Saha, senior vice président et general manager de Turner Entertainment Network Asia, de renchérir dans le même article:  » Nous avons commis une erreur. Nous avons pénétré le marché en 1995 avec du contenu américain et l’idée que de toute façon, comme cela fonctionnait aux Etats-Unis… Depuis, nous avons appris beaucoup à propos de l’ancrage local. Ce concept signifie bien plus que doubler un film dans la langue du pays; plus aussi que d’acquérir des programmes locaux. Cela signifie investir dans un contenu original.  »

TEXTE GERALDINE VESSIERE, EN INDE

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