MARION COTILLARD S’EST FONDUE DANS L’UNIVERS DES FRÈRESDARDENNE POUR INCARNER SANDRA, LA JEUNE FEMME AU CoeUR DE DEUX JOURS, UNE NUIT. RENCONTRE AVEC UNE COMÉDIENNE VOYAGEUSE

Au même titre que Luc et Jean-Pierre Dardenne, Marion Cotillard semble résolue à prendre ses quartiers au sein de la compétition cannoise. Après De rouille et d’os de Jacques Audiard et The Immigrant de James Gray, la voilà donc qui fait la passe de trois avec Deux jours, une nuit, le nouvel opus des frères. Un film qui l’envoie, elle, Sandra, frêle jeune femme sortant de dépression, tenter, avec l’aide de son mari (Fabrizio Rongione), de convaincre ses collègues de renoncer à leur prime pour qu’elle puisse conserver son travail. Soit, pour reprendre l’expression de la comédienne, que l’on rencontre, disponible et rayonnante, dans un hôtel bruxellois, une « héroïne de la vie réelle », éminemment « dardenienne » en tout état de cause.

Pas dans la performance

S’il y avait bien eu le précédent Cécile de France dans Le Gamin au vélo, on n’attendait pas vraiment la star de La Môme, Public Enemies ou autre Inception dans l’univers des cinéastes –« avant de lire le scénario, je me suis d’ailleurs demandée si le fait d’avoir envie de travailler avec moi correspondait à un changement. Je me demandais si cela allait être à Seraing, par exemple, ou si cela allait être différent de leur cinéma, en espérant qu’il n’en soit rien, parce que j’aime profondément leur univers. » Craintes vite dissipées: Deux jours, une nuit s’inscrit limpidement dans la continuation de l’oeuvre, tant par la manière que par les enjeux, moraux et humains, soulevés. Jean-Pierre Dardenne évoque, pour sa part, le « défi supplémentaire » consistant à engager une comédienne si connue. « Marion a su trouver un nouveau corps et un nouveau visage pour le film », observe-t-il. « Cela correspond à ce que j’ai envie de faire avec un rôle. Quand je commence à travailler un personnage, je veux trouver qui c’est intérieurement, évidemment, mais aussi comment ça se transcrit extérieurement », opine l’intéressée.Et de fait, à l’abri de la performance, l’actrice signe ici une composition d’exception, semblant s’effacer au profit de Sandra: « Je n’ai pas envie d’être dans la performance, mais d’atteindre l’authenticité du personnage. Chez les Dardenne, on ne peut pas être dans la performance. J’avais envie de me fondre dans l’histoire, dans le décor, dans le personnage, comme sur chaque film. S’il y en a où l’on pourrait s’imaginer que c’est une performance, ce n’est pas du tout ce que je recherche. »

En intégrant leur monde, Marion Cotillard s’est aussi pliée aux méthodes des frères Dardenne, une forme d’accomplissement à l’en croire. « J’avais toujours rêvé d’une relation très forte, dans le travail, avec un réalisateur, ou deux dans ce cas. J’ai travaillé avec des cinéastes exigeants, mais ils sont encore au-delà. Leur sens de la réalité et du détail, et leur façon de vous pousser toujours plus loin correspondaient à ce que j’avais toujours souhaité. » Et d’évoquer le mois de répétitions dans les décors, avec les autres comédiens, immersion mise à profit, notamment, pour se défaire d’une pointe d’accent parisien. Un travail indispensable également afin de préparer le terrain et de trouver la dynamique de la caméra pour un tournage uniquement en plans-séquences –« comme on avait calé les choses en répétitions, quand on arrivait sur le plateau, tout était focalisé sur le jeu. » Quitte, d’ailleurs, à enchaîner un nombre de prises propre à donner le tournis -82 pour une scène, nous confiait-elle à Marrakech, sans s’en formaliser le moins du monde: « Quand je vois leurs films, je sais que pour atteindre cette authenticité, cette vérité, et en même temps, cette pâte cinématographique, il faut beaucoup de travail. Je n’avais aucun problème à tourner tant de prises: ils m’en auraient demandé 300 que je les aurais faites… En tant qu’acteur, c’est très intéressant de se mettre dans cette dynamique-là. »

Se colleter avec la vie

La « méthode » n’en finit plus, en tout état de cause, de faire ses preuves. Et Sandra de s’inscrire dans la lignée des Rosetta, Lorna et autre Samantha, pour se colleter, comme elles, avec la vie. Marion Cotillard souligne, à raison, son caractère héroïque –« elle dépasse ce qu’elle pense être ses capacités, elle va trouver une force insoupçonnée et, surtout, c’est quelqu’un qui va changer le cours de sa vie, et ne se regardera plus de la même façon. Faire quelque chose pour soi-même, dans le monde dans lequel on vit, avec toute la difficulté que cela peut comporter lorsqu’on est dépressif, c’est héroïque. » Un mouvement s’imbriquant dans un autre, plus vaste, pour un film qui « fait appel à des questionnements sur la solidarité, et sur le système économique dans lequel on vit… »; manière, encore, d’acter la résonance universelle d’un cinéma ancré dans le réel.

Et une expérience à marquer, de toute évidence, d’une pierre blanche dans le parcours de la comédienne, disposée, dit-elle, à être le « nouvel Olivier Gourmet » des frères. Et qui savoure, en attendant, le bonheur de pouvoir glisser d’un univers à l’autre, de Christopher Nolan à Jacques Audiard; de James Gray aux frères Dardenne: « J’aime profondément voyager dans des univers différents les uns des autres. Je passe d’une production énorme à un film plus intime avec le même plaisir. Enfant, j’admirais Sir Laurence Olivier, Peter Sellers, des comédiens qu’on ne reconnaissait pas d’un film à l’autre, et c’était un vrai désir et un vrai rêve de ma part (…) Quand je lis un scénario et qu’immédiatement, je fais partie de l’aventure, je sais que c’est là que je dois aller, je ne me pose pas de questions… »

DEUX JOURS, UNE NUIT, EN COMPÉTITION AU FESTIVAL DE CANNES, SORTIE SUR LES ÉCRANS BELGES LE 21 MAI.

ENTRETIEN Jean-François Pluijgers

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