LE 3 JUIN, JAY-Z ET KANYE WEST SERONT À ANVERS POUR UN CONCERT-ÉVÉNEMENT. AU MENU, NOTAMMENT, LEUR TUBE NIGGAS IN PARIS. OU COMMENT LA CAPITALE FRANÇAISE CONTINUE DE FASCINER LES ARTISTES AFRO-AMÉRICAINS. MAIS PEUT-ÊTRE PLUS POUR LES MÊMES RAISONS…

C’est à coup sûr l’un des principaux événements musicaux de l’année: le 3 juin, Jay Z et Kanye West seront ensemble sur la scène du Sportpaleis d’Anvers. Les deux kings du rap game réunis pour un grand show hip hop à l’américaine… La tournée accompagne la sortie de l’album Watch The Throne, sorti l’été dernier. Une collaboration spectaculaire entre le patron (Jay-Z) et le professeur (Kanye West), multimillionnaires de la pop, réalisée entre deux hôtels et bourrée de « placements de produits », mais aussi boostée au fun et à l’esprit de réussite. L’album est exceptionnel, ne serait-ce que pour avoir rassemblé les deux cadors -comme quoi, le rap a beau être un genre hyperconcurrentiel, il peut également générer des formules royales. Même le candidat Hollande a su s’en inspirer. Dans un de ses films de campagne, on le voit en visite dans les « quartiers » sur fond de Niggas in Paris, l’un des titres phares de Watch The Throne. Certes, voir le candidat socialiste haranguer les classes populaires des cités sur fond de rap über-bling bling est au minimum cocasse. N’empêche: il faut croire que la gagne de Kanye West et Jay-Z est contagieuse. Sur leur musique, même « Flamby » a du charisme à revendre. Le morceau est en effet imparable. Gimmick musical entêtant, sample parfait (tiré du film Blades of Glory) et rimes bien senties: tout est là. En concert, c’est évidemment un des moments forts du set. Le titre est même souvent joué plusieurs fois par soir. Le 13 décembre 2011, au Staples Center de Los Angeles, le binôme le répétera même jusqu’à… dix fois!

Place Josephine Baker

Niggas in Paris a été mis en boîte dans la capitale française. Comme le titre le suggère, il fantasme la virée des deux barons dans la Ville Lumière. Comme quoi, l’aura de celle-ci continue de briller. Elle a toujours fasciné de l’autre côté de l’Atlantique, en particulier dans les milieux artistiques afro-américains. C’est le mythe Josephine Baker. Personnage bigger than life née en 1906 du côté de St-Louis, Missouri, Baker traînait dans les rues, quand la danse l’emmena d’abord à New York, puis en tournée en Europe. En 1925, elle s’arrêtera aux Folies Bergères et deviendra une légende du music-hall parisien. Sa fameuse « danse sauvage », ceinturée de bananes, a beau avoir entretenu à sa manière l’imaginaire raciste, Josephine Baker fut également une grande résistante (elle a reçu notamment la Croix de guerre et la Légion d’honneur) et participa activement au combat pour les droits civiques dans son pays natal: en refusant par exemple de jouer dans des salles pratiquant la ségrégation ou en marchant aux côtés de Martin Luther King.

En fait, avant même l’emblème Josephine Baker, Paris fait déjà office de terre d’accueil pour les Noirs d’Amérique. En 1887, l’homme d’Etat et ancien esclave Frederick Douglass y passe deux mois. Et s’étonne de l’absence de préjugés raciaux, « en partie, parce que le nègre n’a jamais été vu ici comme un esclave dégradé, mais souvent comme un gentleman ou un professeur ». La vision est probablement un peu trop idyllique pour être vraie. Le mouvement est cependant lancé. Après la Première Guerre mondiale, certains soldats afro-américains ne repartent pas chez eux et se fixent à Paris. Du côté de Montmartre, on parle même d’un petit Harlem, où se rassemblent musiciens, peintres, écrivains… Le grand poète Langston Hughes décrit ainsi son arrivée à Paris: « Vieille, sale et laide! Vous payez même pour un sourire ici (…) Mais les gens de couleurs vivent bien, nous sommes pas mal ici. » L’attrait des Français pour le jazz explique aussi pas mal de choses. A la fin des années 20, on peut par exemple croiser Sidney Bechet au fameux club Bricktop, au coin de la rue Pigalle. Un peu plus tard, en 1936, c’est dans ce même quartier que sera lancé le Jazz Hot Magazine, première publication européenne consacrée au jazz. Après la Seconde Guerre mondiale, la revue pourra compter sur la plume de Boris Vian qui soutiendra notamment la révolution be bop. Les écrivains furent aussi nombreux à s’arrêter à Paris. Les plus célèbres? Probablement Richard Wright, ami de Sartre et Camus; Chester Himes, l’auteur de La reine des pommes; ou encore James Baldwin, qui fera dire à son personnage de This Morning, This Evening, So Soon: « J’aimerai toujours Paris; c’est la ville qui m’a sauvé la vie… en me permettant de découvrir qui je suis. »

Bling bling

Aujourd’hui, l’histoire d’amour entre Paris et les artistes afro-américains tient bon. Après tout, le marché rap français reste le deuxième plus important au monde… Signe des temps, ce sont d’ailleurs les rappeurs qui viennent le plus souvent traîner du côté des Champs-Elysées. Les deux tiers du groupe De La Soul ont enregistré leur récent First Serve en France avec une paire de DJ français. La ville a cependant changé de connotation. Plusieurs visites guidées sont toujours bien organisées sur le thème des Afro-Américains à Paris. Mais aujourd’hui la Ville lumière n’est plus l' »enclave » accueillante pour artistes noirs oppressés qu’elle a pu être -la lutte pour les droits civiques et Barack Obama sont passés par là. Par contre, son romantisme bohème a été remplacé par le luxe et les paillettes. Ce grand flambeur de P. Diddy a par exemple intitulé son dernier album Last Train to Paris, une photo du centre Pompidou servant de cover. Kanye West est lui souvent présent aux défilés de mode. Et quand il enregistre Niggas in Paris avec son pote Jay-Z, ils le font en installant un studio dans une des suites de l’Hôtel Meurice. Les caves du Black Montmartre paraissent bien loin…

JAY-Z & KANYE WEST, EN CONCERT LE 03/06, AU SPORTPALEIS, ANVERS.

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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