Azealia Banks, A$ap Rocky…: en 2012, Harlem, trop longtemps figé dans son glorieux passé, devrait reprendre un coup de hype.

Au baromètre de la hype, elle atteint des sommets. Récemment, le New Musical Express la plaçait en tête de son classement des personnalités les plus cools de 2011 (oui, oui, devant Lana Del Rey). De son côté, la BBC en faisait l’un des noms à suivre de très près lors de ces prochains mois. C’est peu dire qu’Azealia Banks, 20 ans, a la cote. Dans le clip de 212, tube underground tournant en haute rotation sur les blogs branchés du Web, elle porte des t-shirts Mickey et des longues couettes d’écolières. Ne pas se fier toutefois aux apparences sages de la donzelle: le rap-électro de Banks fait bien dans le salace et le joyeusement grivois, célébrant le sexe oral. Au passage, on notera que 212 a largement pompé (…) le Float My Boat des Belges de Lazy Jay. Ce qui n’entame en rien le buzz -après tout, même Beyoncé picore chez Anne Teresa De Keersmaeker pour alimenter ses clips.

212 n’a rien d’un code ésotérique: il s’agit du préfixe d’Harlem. C’est de là que vient Azealia Banks. Cela faisait longtemps que le quartier new-yorkais n’avait pas alimenté les charts. Désormais, avec Banks, le voilà replacé sur la carte musicale. La rappeuse n’est d’ailleurs pas la seule à agiter le cocotier. A$ap Rocky, alias Rakim Mayers, 23 ans, vient également du célèbre quartier noir. Comme sa camarade, toujours sans label, il n’a pas attendu de sortir un premier album pour se faire un nom. C’est le règne de la débrouille: à coup d’autoproductions balancées sur le Net ( Purple Swag, Peso), A$ap Rocky n’a pas tardé à se construire sa petite réputation pour finalement s’offrir un contrat à 3 millions de dollars avec RCA.

2012 devrait donc remettre Harlem au centre de l’actu musicale. Le signe d’un réveil après plusieurs décennies où le quartier a semblé être emprisonné dans sa légende. C’est qu’avant de passer pour l’un des coins les plus craignos de Big Apple, Harlem fut la capitale artistique et intelectuelle de l’Amérique noire. Il y a de cela près de 100 ans, en pleine Harlem Renaissance, les rues attiraient la nouvelle intelligentsia noire, tout juste libérée de l’esclavage. Harlem va ainsi abriter des clubs et des salles de spectacle qui deviendront mythiques. Le Cotton Club voit passer des légendes du jazz comme Duke Ellington, Cab Calloway, Louis Arm-strong… Le Savoy est lui un temple de la danse, avec son plancher en bois élastique et ses murs décorés de miroirs – « Stompin’ at the Savoy », chantait Ella Fitzgerald, citée plus tard par Chic ( Le Freak). L’Apollo Theater est un autre haut-lieu de Harlem, célèbre pour ses concours d’amateurs, Mecque de la musique noire par où sont passés Billie Holiday, Michael Jackson ou encore James Brown (ses fameux Live at the Apollo).

Au fil du temps, le quartier (situé dans le borough de Manhattan, dans le nord de l’île) a cependant perdu de sa superbe. Fin des années 70, c’est dans le Bronx voisin que naît la culture hip hop. Certes, Kurtis Blow, natif d’Harlem, est le premier rappeur à signer un contrat de disque avec une major. Mais par la suite, le quartier s’est retrouvé petit à petit largué, à la fois écrasé par le poids de son histoire et gangréné par la violence urbaine. Dans une récente interview, A$ap Rocky expliquait par exemple:  » Je déteste traîner à Harlem. Je préfère descendre downtown parce que cela bouge plus, c’est plus diversifié. Les gens sont plus ouverts. Les gays sont là-bas, les modeux, les skateboarders… »

Le c£ur d’Harlem

En 2011, Harlem semble cependant s’être à nouveau transformé. L’insécurité n’a pas tout à fait disparu, loin de là. Mais la criminalité a diminué. Les résultats de la politique du maire Bloomberg certainement. Ou, vu par la lorgnette plus prosaïque d’A$ap Rocky: « Harlem était mon coin, mais c’est trop petit pour vendre de la drogue. »

Le fait est que le quartier n’échappe plus à une certaine gentrification. Boutiques tendances et autres resto chics se sont multipliés… Le célèbre chef suédois d’origine éthiopienne « vu à la télé » Marcus Samuelsson a par exemple ouvert son « Red Rooster » en décembre 2010. Petit à petit, Harlem s’embourgeoise. Au point de déclencher des manifs. Par exemple, devant les bureaux de la fondation Bill Clinton: en 2001, son installation à Harlem avait été accueillie comme un geste de solidarité; quelques années plus tard, plus d’un y voyaient l’un des facteurs du boom immobilier et de la hausse spectaculaire des loyers… Aujourd’hui, la fondation a déménagé. Mais l’ex-président a gardé un pied-à-terre à Harlem…

Le label jazz Motéma -le c£ur en lingala- a lui démarré à San Francisco avant de s’installer à Harlem. Symbolique: il a trouvé refuge dans la maison du poète Langston Hugues, personnage emblématique de la période Harlem Renaissance. Présenté comme l’équivalent de ce que fut  » Blue Note pour le jazz des années 60« , le label accueille notamment Gregory Porter, vocaliste brillant, lorgnant vers la soul conscientisée des années 70. Comme un lien entre le passé glorieux et une certaine modernité, susceptible de rallumer la flamme. Harlem never dies

Texte Laurent Hoebrechts

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content