Habiter en poète

© © Silvia Hatzl

Silvia Hatzl investit la Chapelle de Boondael le temps d’une délicate exposition. Un pur moment de contemplation loin des horizons rétrécis de l’actualité.

Ahnen

Silvia Hatzl, Chapelle de Boondael, 10 square du Vieux Tilleul, à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 28/05.

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Pas besoin d’y aller par quatre chemins: il n’y a que deux façons d’aborder la quatrième exposition de Silvia Hatzl à Bruxelles. La première consiste à se taire et à se laisser guider par le sentiment. Dans ce cas de figure, nul besoin de littérature, d’accompagnateur ou d’un quelconque mode d’emploi. On pénètre timidement dans le vaste espace qu’éclairent d’indigents vitraux en plastique. À travers neuf ouvertures, ceux-ci jettent une lumière atténuée que déterminent le temps et les conditions climatiques. La nôtre, de lumière, fut austère, monacale et, paradoxalement, apaisante. Elle soufflait une dorure patinée sur les oeuvres exposées. Faites de peaux et de tissus, celles-ci se dressent, sans violence, comme autant de vêtements désertés par des corps. Des traces, des empreintes, des carapaces qui racontent ce qui fut ou ce qui est à venir, voilà ce qu’évoque le travail de cette artiste allemande passée entre autres par La Cambre. Qu’elles dévalent depuis l’imposante charpente en bois ou qu’elles soient fixées sur un pied, les pièces composent des configurations mouvantes, ou à tout le moins frémissantes, d’une grande délicatesse. L’impression qui domine est celle de pénétrer au coeur d’une étrange nature, non pas traversée de piliers, mais de structures portantes en saule, de halos à mi-chemin entre la matière et le vide. Des géométries aussi apparaissent, elles témoignent des carrés de peaux assemblés, parfois monumentaux, parfois modestes, toujours géniaux. Marquant est également le jeu chromatique dominé par la rouille, la cendre et le charbon dont les présences ocres et grises évoquent certains tableaux d’Anselm Kiefer. Et puis il y a ces sons, sortes de bruissements à la manière d’une pluie fine, que font les oeuvres quand on les effleure.

Recueillement

L’autre façon de découvrir le travail de Silvia Hatzl est cartésienne. Il faut alors faire appel aux philosophes. On pense en particulier à Martin Heidegger qui a abordé la problématique de « l’habitat ». Tant les bustes que les « chasubles » offerts au regard disent cette question de l’habiter, de l’incarner ou, pour le dire autrement, d’occuper un présent. Elle est centrale. Bien sûr, il ne s’agit pas d’habiter fonctionnellement au sens architectural du terme. Le penseur allemand avait prévenu: « la véritable crise de l’habitation ne consiste pas dans le manque de logements« , non, la difficulté « réside en ceci que les mortels en sont toujours à chercher l’être de l’habitation et qu’il leur faut d’abord apprendre à habiter« . Selon Heidegger, « habiter » est ici à entendre comme une « pratique vécue« . Elle est à mettre en rapport avec la nature de l’homme, dont l’être « se situe dans l’habiter, s’y réalise et s’y lit« , comme le précise encore l’auteur de Chemins qui ne mènent nulle part. Dans cet ordre d’idée, il n’est pas interdit d’imaginer que Silvia Hatzl a bâti une sorte de refuge pour tout un chacun, une parenthèse dans laquelle se glisser et être pleinement. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elle en assure elle-même la permanence -on a envie d’écrire « l’hospitalité »-, du jeudi au dimanche, de 14 à 19 heure. Si « la poésie est le faire habiter originel« , nul doute que Ahnen est un haïku écrit avec des matières, des lumières, des textures et des couleurs.

Michel Velinden

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