Gursky m’a broyé

© AMAZON, 2016. INKJET-PRINT. 207 X 407 X 6.2 CM ANDREAS GURSKY/DACS, 2017. COURTESY: SPRÜTH MAGERS

À Londres, la Hayward Gallery consacre une écrasante rétrospective au travail d’Andreas Gursky. Beaucoup trop pour deux yeux, même de bonne volonté.

Andreas Gursky (Leipzig, 1955) appartient au cénacle des artistes qui affolent l’art contemporain. On le sait, ses images s’échangent à des prix qui défient la raison et la décence. On peut le regretter, voire se dire légitimement que son travail empile les grilles de lectures de manière fort opportune -on pense par exemple à une photographie comme F1 Pit Stop qui allèche le premier béotien venu, pour peu qu’il ait les poches pleines, mais également aux clichés boursiers dont le foisonnement entretient les fièvres des néo-libéraux. Ce n’est pas dans cet esprit que l’on a décidé de visiter l’imposante exposition -68 photographies- que lui dédie le Southbank Centre par le biais de sa chapelle brutaliste, la Hayward Gallery. Non, l’attitude qui a été la nôtre a été celle prônée par le critique d’art Daniel Arasse, soit la patience. Une méthode qui consiste à contempler une oeuvre jusqu’à ce que quelque chose d’elle vienne à la rencontre du regardeur… Ou que quelque chose du regardeur aille vers la prise de vue. On parle ici d’une véritable « expérience » de la photographie, une attention aux détails comme porte d’entrée vers la création. Autant ne pas y aller pas quatre chemins, ce mode opératoire n’a pas fonctionné plus longuement que deux salles, soit une quinzaine d’images. La suite? L’oeil s’est perdu en chemin. On en déduit ceci: il y a quelque chose d’irréaliste dans une rétrospective consacrée à Gursky. L’abondance des détails, le gigantisme des formats, les manipulations et retouches, tout cela est marqué du sceau de l’impossibilité.

Avec le temps

Attention, pas de confusion, pas question d’écrire ici que l’oeuvre de l’Allemand n’a pas d’intérêt. Tout au contraire. C’est particulièrement vrai dans les images des années 80, celles qui examinent l’usage social du paysage. L’homme y est inscrit à la manière d’une anomalie. Pour souligner ce positionnement grotesque, Gursky le met en parallèle avec des poules perdues dans un champ. Même occupation désordonnée de l’espace, même absence d’harmonie. Il y a aussi cette image, Ruhr Valley, prise en 1989, un homme écrasé par une architecture de béton se promène dans la campagne. Son dérisoire équipement -pêche ou peinture, on ne sait pas vraiment- en dit long sur son obstination à ne pas vouloir regarder la pièce dans laquelle on le fait jouer. Il y a d’autres coups de force qui frappent durablement l’esprit, comme Untitled I (1993), soit l’image d’un tapis gris prise à la Kunsthalle de Düsseldorf. La mise en abyme fonctionne à la perfection car, l’abstraction étant partout, c’est bien l’un de ces monochromes conceptuels que l’on a sous les yeux. Gursky manie ici l’ironie avec beaucoup de talent. Il en va de même lorsqu’il photographie la Turner Collection en 1995, le contraste entre le caractère nébuleux du travail du peintre britannique et l’enfermement suggéré par le lieu d’exposition est tout simplement génial. Au-delà de cette fulgurance, l’oeil -du moins le nôtre- atteint le point de non-retour. On n’a plus fait que survoler les images, gavé par la puissance accumulative tel que l’artiste la glane dans les entrepôts d’Amazon ou dans les alignements de panneaux solaires. De manière symptomatique, il nous a semblé que dans ses derniers travaux, Gursky lui-même essayait de se faufiler hors du système des objets. Images floues faisant place au mouvement (Utah, 2017) ou petits formats lo-fi (Mobile NR. 1, 2016), peut-être le maître lui-même est-il pris de nausée.

Andreas Gursky

Hayward Gallery, Southbank Centre, Belvedere Road, à Londres. Jusqu’au 22/04.

8

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content