GRETA GERWIG ILLUMINE DE SA PRÉSENCE, TOUTE DE FRAÎCHEUR UN PEU GAUCHE, MAGGIE’S PLAN, COMÉDIE ROMANTIQUE SPIRITUELLE ET DÉCALÉE DE LA CINÉASTE NEW-YORKAISE REBECCA MILLER. RENCONTRE AVEC UNE ARTISTE À LA SPONTANÉITÉ RAVAGEUSE.

Quelques titres, à peine, ont suffi à imposer ce qu’il convient désormais d’appeler le « Greta Gerwig Movie ». Soit, de Damsels in Distress à Mistress America en passant, bien sûr, par le plus emblématique d’entre tous, Frances Ha, un modèle de comédie délicieusement sophistiquée, où l’actrice mêle énergie débordante et maladresse guère mieux contenue en une combinaison produisant des étincelles, tout en esquissant les contours d’une angoisse existentielle plus profonde. Dernier en date, donc, Maggie’s Plan, nouveau film de la réalisatrice new-yorkaise Rebecca Miller, auteure auparavant de The Private Lives of Pippa Lee parmi d’autres. Greta Gerwig y apparaît égale à elle-même sous les traits de Maggie, pétulante trentenaire doublée d’une éternelle célibataire décidant un beau jour d’avoir un bébé toute seule; une entreprise rondement menée si elle ne tombait bientôt raide amoureuse de John Harding (Ethan Hawke), professeur d’anthropologie et aspirant écrivain enferré dans un mariage boiteux avec sa femme Georgette (Julianne Moore), intellectuelle excentrique ne vivant que pour sa carrière. Il en faut plus toutefois pour décontenancer Maggie, jamais à court d’un nouveau plan, fût-il foireux… « Comme elle le dit elle-même, Maggie ne souhaite rien d’autre que de vivre honnêtement, soupèse l’actrice. Elle veut vivre sa vie avec intégrité, et ne voit pas d’inconvénient à ce que cela puisse signifier quelque chose de différent en fonction du moment. Elle n’a pas de souci avec le fait qu’il n’y ait là rien de figé, et que ses aspirations puissent évoluer… »

Ligne directrice

Si le blond de sa chevelure a cédé la place à un orange incertain -conséquence du tournage de 20th Century Women pour Mike Mills-, tandis que le look improbable de Maggie s’effaçait au profit d’un ensemble griffé Prada, Greta Gerwig s’avère, quand on la rencontre à Berlin, assez conforme à l’image que projetaient ses rôles, mélange d’esprit, de spontanéité et d’un enthousiasme qu’elle ne tente que mollement de refréner. En un mot comme en cent, pétillante, et animée de quelque chose comme le feu sacré, qui confie, avec une évidente sincérité: « Je veux faire de l’art de qualité. » En quoi elle ne s’est pas trop mal débrouillée jusqu’à présent, son parcours, entamé aux côtés de Joe Swanberg et autres Jay et Mark Duplass, les papes du « mumblecore », ayant ensuite aligné les noms de Noah Baumbach (par ailleurs son compagnon à la ville), Whit Stillman, Woody Allen, Mia Hansen-Love ou, aujourd’hui, Rebecca Miller. « Je ne voudrais pas travailler avec des gens que je ne respecte pas. Mais si je les respecte, et qu’ils m’intéressent en tant que cinéastes, je suis prête à faire à peu près tout pour un film. Je n’ai pas fondamentalement de ligne directrice en dehors du fait qu’il s’agisse d’artistes à mes yeux. Voilà pourquoi je voulais travailler avec Rebecca. Si c’est faisable pour moi financièrement, j’essaye de ne travailler qu’avec des gens que j’apprécie vraiment, et dont je considère qu’ils suivent leur propre voie et font des choses intéressantes. »

Entre Rebecca Miller et la comédienne, on peut du reste parler de véritable connivence, et Gerwig raconte comment, habitant à un pâté de maisons l’une de l’autre, elles ont passé l’année précédant le tournage à développer le personnage de Maggie au gré de leurs fréquentes rencontres. C’est au cours de ces discussions, par exemple, qu’a germé l’idée de faire de la jeune femme une quaker, confession lui apportant un supplément de singularité, tout en étant la mieux en concordance avec son éthique de vie. L’actrice s’est par ailleurs inspirée de l’une de ses amies proches pour en peaufiner le profil: « Avoir quelqu’un à qui se référer est toujours une aide précieuse, note-t-elle. J’avais des photos d’elle, je m’inspirais de sa manière de s’habiller, de sa façon d’agir. C’est l’une des personnes les plus pratiques et bizarres que je connaisse. Elle fait toujours ce qui est commode et logique à ses yeux, sans considération pour les conventions sociales, dont elle n’a cure. Elle a vu le film, et l’a apprécié… »

Si elle a généreusement contribué à son personnage, l’actrice, qui a cosigné plusieurs de ses films (dont Frances Ha et Mistress America) et en a produit d’autres, refuse, pour le coup, qu’on lui accole l’étiquette de coscénariste: « Rebecca est définitivement l’auteure de ce film. Même si elle y a intégré certaines de mes idées, le crédit lui en revient. Les gens avec qui je travaille s’appuient en général sur un processus collaboratif. Je suis attirée par des réalisateurs attendant des acteurs qu’ils viennent avec leur personnalité et ne soient pas juste le relais de ce qu’ils avaient à l’esprit. Je pourrais me contenter d’être une comédienne à louer, mais je pense qu’il y a mieux à faire. Il est préférable pour tout le monde que je sois plus impliquée. » Maggie en apporte l’éclatante démonstration, et s’ajoute à une galerie de portraits n’appartenant définitivement qu’à Greta Gerwig, ces jeunes femmes dont le dynamisme se voit régulièrement compromis par la maladresse, on y revient, qui leur colle aux basques. « J’ai moi-même ce mélange d’énergie et de mal-adresse, opine-t-elle. Et j’aime les choses qui ne sont pas à sens unique. Du fait de mon passé de danseuse, je crois comprendre physiquement les personnages que j’ai créés. Quand je pense à ceux qui me sont chers, leur posture m’est familière, avec ses nuances. Prenez Maggie, par exemple: je savais qu’elle se tiendrait fermement, ses pieds un peu écartés, et qu’elle aurait cette démarche ample. Elle regarde les gens en face, et ne cache rien, elle se montre telle qu’elle est. Frances, pour sa part, n’arrêtait pas de tomber, elle dégringole d’elle-même, et court, diffusant cette énergie. Quant à Florence, dans Greenberg, je voulais qu’elle ressemble totalement à un marshmallow, et que si on la touchait, elle commence à s’émietter vers l’intérieur. Je suis toujours à la recherche de ces petites choses qui me font ressentir qu’il s’agit d’une expérience englobant tout le corps. D’où le fait que je sois aussi intéressée par les costumes, et l’apparence… »

Réalisatrice plutôt que director

Sa gourmandise ne s’arrête d’ailleurs pas là, et son parcours pourrait bien connaître une nouvelle inflexion puisque Greta Gerwig va passer derrière la caméra l’été prochain. De quoi alimenter, incidemment, les comparaisons avec Woody Allen dont on la présente régulièrement comme le pendant féminin. « J’adore les films de Woody, et il a contribué à ce que j’emménage à New York (elle est originaire de Sacramento, en Californie, NDLR), que je connaissais à travers son cinéma. Il a eu une carrière incroyable, et a tourné plusieurs de mes films favoris. J’aimerais pouvoir être aussi productive. J’admire les gens qui continuent à travailler tant qu’ils le peuvent, comme Mike Nichols, qui a mis en scène au théâtre jusqu’à son dernier souffle, ou Ann Roth, une de mes costumières préférées, qui est largement octogénaire et est toujours active. Si on aime ce qu’on fait, et que l’on vit sa vie de la sorte, c’est la récompense ultime… »

Quant à Lady Bird, le film qu’elle s’apprête à tourner, Greta Gerwig y voit comme un aboutissement logique de son parcours: « J’ai toujours voulu être réalisatrice, parce que le cinéma est à mes yeux le médium du réalisateur, au même titre que le théâtre est celui du dramaturge. Si on s’intéresse au cinéma, et que l’on travaille dans ce milieu, en écrivant et en produisant, il est très difficile de ne pas vouloir aussi mettre en scène, c’est une évolution naturelle. « Réalisateur », le terme français, me paraît d’ailleurs plus approprié que l’anglais »director ». Le terme « director » induit que tout soit déjà là, et que l’on dise: « Toi, tu vas là, et toi là. » « Réalisateur » est beaucoup plus pertinent, parce qu’on réalise quelque chose qui n’était pas là, on le fait exister. Ayant travaillé comme actrice et dans différents départements, c’est désormais ce à quoi j’aspire. » Et quand Greta a un plan…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Berlin

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