Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

DES MUSICIENS D’ALABAMA SHAKES ET DE THE CIVIL WARS FRÉQUENTENT CE DISQUE FILANDREUX SUBLIMÉ PAR LA VOIX DE DYLAN LEBLANC À L’OMBRE DES PRIMAUTÉS FOLK-ROCK.

Dylan LeBlanc

« Cautionary Tale »

DISTRIBUÉ PAR V2 RECORDS.

8

Sur le Net, on peut voir Dylan LeBlanc sur le plateau d’une TV américaine quelconque, plutôt de seconde division, où, tradition oblige, une anchor woman et son correspondant mâle présentent crânement en duo le chanteur. Sur le mouchoir de poche du studio, avant et après le morceau, Dylan leur sert des « ma’am« et des « sir« comme un bon gars du Sud ayant retenu toutes les leçons de courtoisie. Tête de nerd chaussée de lunettes encadrées par une coupe mi-longue, mi-freak, le mec dans la vingtaine -25 aujourd’hui- envoie des chansons en contre-emploi de l’allure square: du country-folk-rock noyé de mélancolie. Pas de quoi castrer un castor s’il n’y avait une viscérale mélodie et cette voix qui traîne et brille, un peu comme les comètes discrètes concurrentes de la Grande Ourse. Dylan LeBlanc -même pas un pseudo- a grandi entre la Louisiane et l’Alabama où son père, session-man country, travaille aux studios Muscle Shoals, fameux pour ses travaux d’Aretha Franklin, Otis Redding ou Wilson Pickett. A l’âge où la plupart de ses copains taquinent la Nintendo, Dylan observe le jeu musical des pointures et, plutôt que de subir la messe blanche qui l’ennuie, file voir la chorale gospel de l’église noire voisine. Comme Elvis.

Vu le pedigree, pas étonnant que ce troisième album solo de LeBlanc soit aussi naturellement chargé en réminiscences americana, avec la grâce acoustique d’un jeune Neil Young. En partie, elle vient d’arrangements mis en place par Ben Tanner -d’Alabama Shakes- qui engage des cordes là où il faut. Celles-ci ne font pas seulement office d’accompagnement (néo)classique attendu, elles enrobent les chansons comme on l’imaginait volontiers dans les années 60, via une sonorité enfantine et glorieuse, ambitieuse sans être pour autant chichiteuse. Ce n’est pas une mauvaise définition de l’âme des morceaux: la noirceur des décors et des personnages évoqués -ce garçon qui a déjà été en détox came/alcool n’est pas un rigolo- glissent dans une forme d’intimité à laquelle on n’échappe pas. Au magazine Rolling Stone,LeBlanc parlait récemment de son disque en disant qu’il avait voulu échapper « aux saloperies de chansons tristes » pour construire « un message groovy et puissant qui accompagnerait l’écoute (…) d’un disque qui se veut honnête ». N’empêche: les meilleurs moments –Man Like Me, Lightning and Thunder– ramènent des émotions jamais vraiment loin du spleen, comme si Dylan était aimanté vers le chagrin, visiblement l’ingrédient principal de ses chansons magnétiques.

PHILIPPE CORNET

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