God is in the house

Le grand Nick Cave méritait plus qu’une biographie. Arthur-Louis Cingualte lui consacre un drôle d’Évangile.

Ces dix dernières années, une horde d’essayistes d’un genre nouveau semble avoir lentement surgi. Exégètes de figures pop capables de mettre en relation le profane et le sacré, de citer Dante Alighieri et les Beach Boys dans une même phrase, ils ont pour noms Pacôme Thiellement, Nicolas Tellop, Laurent de Sutter ou Tristan Garcia -autorisons-nous à les appeler « popistes ».

Arthur-Louis Cingualte a lui aussi sa carte. Auteur de superbes textes sur la troisième saison de Twin Peaks, collaborateur de l’excellent mensuel de cinéma La Septième Obsession, le jeune universitaire français s’attaque ici au grand Nick Cave.

Dans les années 80, le rock est moribond,  » sa manière de braqueur s’est diluée dans la soupe du conformisme ». Équipé de son obsession pour un Sud des États-Unis fantasmé, Cave l’Australien débarque et joue l’urgentiste-réanimateur. Éternel outsider parmi les autres grands comme Neil Young ou Iggy Pop, il n’a cessé de s’écarter de l’autoroute du rock, préférant emprunter une sorte d’itinéraire bis.

On était prévenu: avec son patronyme de poète maudit, c’est au travers d’une approche mystique qu’Arthur-Louis Cingualte parcourt la longue discographie du prétendu « Prince of darkness « .

Prédicateur du rock

« On entre en Nick Cave comme on entre en religion », dit-il. Dans cet ouvrage à la conception graphique alléchante, Cingualte va ainsi scinder en deux la carrière de ce fanatique de la Bible -Cave a même préfacé une réédition de L’évangile selon saint Marc. Soit, si on a bien tout compris, une partie « vétérotestamentaire » (relative à l’Ancien Testament) partant de ses débuts avec le groupe Birthday Party, puis une autre, plus « lumineuse » et relative au Nouveau Testament, de The Boatman’s Call à nos jours.

God is in the house

Dans cette analyse érudite et littéraire où Dieu (comme Nick) « se la joue seringue », on repense le concept de croyance et croise l’agité Léon Bloy, la fée Kylie Minogue bien sûr, ou l’intraduisible mais exquise notion de sprezzatura. On tombe aussi sur Simone Veil, Maurice G. Dantec, ou l’étonnant Yves Adrien et sa « théologie galactique du rock ».

Le prédicateur Cave prêche un rock de retour à sa fonction divine, non sans essuyer quelques averses:  » Qu’est-ce qu’il flotte dans les chansons de Nick Cave ». Qu’à cela ne tienne, le charismatique Blixa Bargeld, enlevé aux post-punks d’Einstürzende Neubauten pour gonfler les rangs des quasi inamovibles Bad Seeds, est là pour « rouiller le fer » à coups de riffs de guitare singuliers.

L’affaire est complexe -et les voies du Seigneur sont impénétrables-, mais Arthur-Louis Cingualte sait enflammer sa prose comme dans ce passage incandescent sur Nick déclamant, live et habité, sa fameuse Stagger Lee, dont on recommande la lecture avec ladite chanson en fond.

En guise de postface, Cingualte mentionne la conception du récent dernier album de Nick Cave & The Bad Seeds, Ghosteen (2019). Principalement épaulé par Warren Ellis, mauvaise graine aux  » allures d’ange post-raphaëlien », un Nick Cave apaisé y déroule une véritable cérémonie en hommage à Arthur, son fils défunt, tombé d’une falaise de Brighton. Amen.

L’Évangile selon Nick Cave, le gospel de l’âge du fer rouillé

D’Arthur-Louis Cingualte, éditions de l’Éclisse, 160 pages.

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