Le rock est une bonne pâte qui accueille extravertis, introvertis, demi-dingues, enfants sages et gay people avec le même et insatiable appétit d’intégration. Quatre exemples, à divers degrés, d’homo rock…

Little Richard

Milieu des années cinquante. Elvis Presley fait scandale avec son jeu de jambes trop (hétéro)sexuel qui dévergonde les petites filles de la pudibonde Amérique. Au même moment, un autre chanteur propose un show nettement plus osé pour le lieu et l’époque. Little Richard (1932) apparaît fortement maquillé, la coiffure élevée en une impressionnante pompadour, le geste précieux et carnassier à la fois, efféminé, manucuré et transpirant. Richard Penniman, de son vrai nom, n’est pas seulement l’un des pionniers du beat maléfique, il est aussi le plus extraverti, le plus glam, le plus fou: A-wop-bop-a-loo-bop-a-wop-bam-boom est son cri fétiche, et son rock extraordinairement hystérique ( Tutti Frutti, Lucille, Long Tall Sally) marque durablement Dylan, Jagger, McCartney, Lennon et Bowie . L’affaire est d’autant plus troublante que Richard débarque avec des morceaux courts et furibards, frappant le clavier du piano comme s’il voulait le punir de péchés inavouables. De fait, le zigoto génial fera de multiples allers-retours entre le rock et la musique évangélique qu’il enregistre régulièrement depuis un demi-siècle. Pendant ses périodes religieuses, le P’tit Richard nie généralement son identité gay, laissant place à l’autre pan de sa bisexualité galopante.

La giclée Glam

Sur la pochette originale de The Man Who Sold The World (1971), David Bowie apparaît dans une robe de soie, alangui sur un sofa. L’Angleterre sortira assez vite une autre couverture, plus straight, laissant Bowie s’exhiber en jupe dans d’autres occasions plus discrètes. Au Melody Maker qui lui pose la question en janvier 1972, Bowie répond:  » Oui, bien sûr que je suis gay. Et je le serai toujours. » De toute évidence bisexuel, Bowie brouille les pistes jusque dans les années 80 où il s’installe dans des relations hétéros, le mariage avec Iman en 1992 prouvant que s’il est gay, il ne l’est en tout cas pas à plein temps. Les seventies vues par le prisme du glam rock ont enfanté une véritable tribu gay/no gay de stars posant volontiers maquillées, apprêtées, pour ne pas dire déguisées: Elton John et sa collection de froufrous maniaques, Marc Bolan de T. Rex (mort en 1977) et ses chaussures de petite fille, ce rigolo de Lou Reed, gothique tendance sévère, et un peu plus tard, Freddie Mercury (mort du Sida en 1991), chanteur poilu aux collants magiques. Sans oublier les New York Dolls, féminisés jusqu’à la caricature malgré un CV civil garanti hétéro . Tous conscients que l’ambiguïté est un excellent outil de marketing, ils finiront par choisir une voie (apparemment) unisexe, homo ou hétéro. La raison de l’âge?

From Boy to George

Début des années 80, le mouvement néo-romantique anglais fait flamber les looks. Boy George, alors chanteur de Culture Club, apparaît dans un invraisemblable pot-pourri de vêtements disparates. Jouant avec les symboles religieux et les attributs masculins/féminins, l’étoile de David jouxte des falbalas de néo-rasta qui aimerait porter la chasuble ample. Ce puzzle mi-flamboyant, mi-co(s)mique, s’accorde à la voix d’Alan O’Dowd – vrai nom du Boy – et l’ensemble donne une nouvelle version de l’androgynie. Boy a longtemps brouillé les pistes sexuelles, prétendant qu’il  » préférait une tasse de thé au sexe« : dans sa bio de 1995, Take It Like A Man (…), il s’étend pourtant longuement sur sa relation amoureuse avec Jon Moss, batteur de Culture Club. Le 11 mai 2009, Boy George est sorti de prison après avoir purgé quatre mois fermes pour agression contre un escort male dans son appartement londonien. Dans cette décennie d’excès manifestes, un autre George, Michael, joue d’une totale discrétion publique sur ses sentiments,  » pour ne pas blesser ma mère », dira-t-il plus tard. Gay sans ambiguïté, George Michael a, au fond, répété l’attitude qui prévalait dans les années 60 lorsqu’on taisait, par exemple, le mariage de Bill Wyman pour ne pas décevoir la partie féminine du public des Rolling Stones. Même pas une question de genre sexuel, mais plutôt une (autre) donnée de marketing!

Tom Robinson

Sauf erreur, Robinson est le seul performer ayant fait chanter à des masses (majoritairement) hétéros une chanson dont le refrain est « Chante si tu es heureux d’être pédé ». Début 1978, Tom Robinson sort Sing If You’re Glad To Be Gay et devient le symbole du gay libéré en Grande-Bretagne et dans une série de pays européens également impressionnés, Belgique comprise. L’époque est à l’activisme notoire, la militance homo joignant d’autres affaires urgentes telles que l’anti-racisme ou l’intégration de l’immigration, dans une société anglaise bientôt soumise au pouvoir ultra-conservateur de Margaret Thatcher. A réécouter maintenant ce rock robinsonesque sans génie mais engagé, il semble que les acheteurs du disque aimaient la chanson – rien de terrible – mais participaient tout autant à une entreprise de conscientisation globale. Tom, qui se proclame plutôt gay que bisexuel, a rencontré au mitan des années 80 une jeune femme qui l’a fait changer de route. Désormais mari et père de famille, il chante toujours Sing If You’re… et se définit comme  » un homme gay qui est tombé amoureux d’une femme ». Qui dit mieux?

Texte Philippe Cornet

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