À l’instar d’Antony, le rock est hanté de freaks, losers pathétiques et marginaux esthétiques, qui dérangent le public et nourrissent les fantasmes parfois morbides de pop-stars en vue.

Le meilleur exemple du lien entre créatures marginales et groupes mainstream se concrétise dans la personnalité de Charles Manson. Voilà un serial-killer assez taré pour penser sérieusement que le Helter Skelter des Beatles a été écrit pour lui (…), Guns N’Roses et Marilyn Manson (no relation) amplifiant son délire enajoutant à leur répertoire des reprises du petit Charles. Cela fera plaisir aux familles des victimes. Au-delà de cette idiotie quasi congénitale, il est fréquent que les sous-légendes du rock, souterraines au succès, influencent à des degrés divers la culture et les stars de masse. Souvent pour le pire, parfois pour le meilleur (Captain Beefheart).

Charles Manson

Voilà du malsain de première catégorie, conforme au regard cintré de son patibulaire proprio. Guru, hippie, meneur de communautés californiennes réglées à la manière de baisodromes collectifs, Charles Manson et sa « famille » entrent dans la légende criminelle après une série d’assassinats de personnalités hollywoodiennes à l’été 1969. Manson a diligenté les crimes, comme une croisade contre la société qui a rejeté son supposé talent musical. Obsédé par les Beatles dont il pense qu’ils lui envoient des messages, Manson s’acoquine un long moment avec Dennis Wilson, le Beach Boys borderline. Wilson quittera Manson avant les meurtres, inquiet de sa personnalité dévorante. Par contre, Marilyn Manson et Guns N’Roses reprennent ses chansons plus de deux décennies après sa condamnation à mort. Aujourd’hui, alors que la sentence a été commuée en prison à vie – mais il pourrait être libéré en 2012… -, une septantaine de groupes rock reprennent les morceaux de Manson ou en écrivent en son « honneur »

Genesis P. Orridge

Le premier « succès » public de Genesis P. Orridge vient avec Throbbing Gristle qui jette un pavé sonique dissonant dans la mar(é)e new wave de 1975-1978. Le groupe anglais provoque l’extrême inconfort par un pesant tourment noisy et l’utilisation récurrente d’images issues de la pornographie, du nazisme, de la prostitution ou de l’occultisme. Idées que « Genesis » – Neil Andrew Megson dans le civil – perpétue via de multiples projets avec Psychic TV, Thee Majesty ou en couple aux côtés de sa seconde épouse Lady Jaye Breyer (morte en 2007). Avec celle-ci, il entreprend, dès les années 90, un double travail de mutation corporelle. Au final, le couple ne doit plus former qu’une seule entité jumelle. A coups de greffes et d’implants – poitrine, joue, nez, lèvres… -, Genesis transforme son corps en ultime manifeste androgyne. A son look kapo botté des seventies, il a fait succéder une sorte d’homme femelle aux lèvres nourries de collagène. Cette apparence s’avérant finalement plus dérangeante que n’importe lequel de ses abcès musicaux…

Captain Beefheart

Voilà donc le « monstre » positif de cette série freaks. Le contemporain et camarade de collège de Frank Zappa va produire l’une des musiques les plus iconoclastes et excentriques de toute l’histoire du rock. Partant de la matrice blues, le « capitaine c£ur de b£uf » et son escouade de bizuteurs sonores (The Magic Band) charcutent la tradition noire et ramènent un quota de chansons irréelles et barjos. La voix grognante, hantée, comme pure émanation extra-terrestre, chauffe un mix de blues, de free-jazz, d’incidences psychédéliques, qui influencera des artistes aussi différents qu’Arno, John Lydon, Nirvana, Tom Waits ou Franz Ferdinand. Le Capitaine – Don Van Vliet – s’est retiré de la musique après une douzaine de disques et se consacre depuis 1982 à son art premier, la peinture. A écouter: Trout Mask Replica (1969).

Daniel Johnston

Daniel Johnston, c’est un peu le gros nounours qui aurait pris trop d’acide, ou un Casper le fantôme (un de ses personnages préférés) fan des Sex Pistols. Un freak? Son allure bonhomme pourrait faire douter, si son regard ne trahissait pas les tourments qui le rongent. A un certain point, ils prennent la forme de crises maniaco-dépressives qui l’ont emmené un temps en institution psychiatrique. La folie ne fait pas forcément l’artiste. Dans le cas de Johnston, l’un et l’autre semblent cependant intrinsèquement liés. Né en 1961 à Sacramento, Daniel Johnston a 19 ans quand il décide de devenir les Beatles. Problème:  » J’ai été très déçu quand j’ai découvert que je ne savais pas chanter.  » Cela ne sera finalement qu’un détail. S’accompagnant au piano ou à la guitare, il enregistre sur cassettes des chansons aussi désarmantes que décharnées. Leur notoriété n’aurait pas dû dépasser l’underground. C’était sans compter la dévotion d’un fan, un certain Kurt Cobain, qui en portant un t-shirt de Daniel Johnston lui fera une publicité qui assoira son nouveau statut: culte.

Funkadelic

On lui doit quelques-unes des orgies funk les plus déjantées et colorées jamais produites sur scène. Dans les années 70 surtout, George Clinton a explosé le genre, que ce soit au sein de Parliament ou Funkadelic. James Brown balançait un funk irrésistible, mais tendu et sec comme un coup de trique. En un mot, martial. Clinton, lui, a toujours prôné l’anarchie et la frénésie. Sur scène, ils sont souvent plus d’une vingtaine, sachant quand ils démarrent, jamais quand ils vont s’arrêter. Lui chante à peine, ne joue d’aucun d’instrument, ni ne danse vraiment. Mais pourtant, c’est bien lui, le patron, le Dr Funkenstein. Inspiré par les délires interstellaires du jazzman Sun Ra, il met au point toute une mythologie cartoonesque. En 76, lors de la tournée Mothership Connection, il déboule ainsi sur scène, sortant d’un navire spatial, avant de lancer ses troupes dans une grande débauche de grooves moites. Cela dit, sous ses dehors exubérants, Clinton appuyait un vrai message politique.

Texte Philippe Cornet et Laurent Hoebrechts

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