LES GRANDS NOMS DE LA PEINTURE SE FONT TOUS TIRER LE PORTRAIT EN BD. UNE TENDANCE AU « BIOPIC » À LA FOIS TRÈS MARKETING POUR LES ÉDITEURS MAIS AUSSI DE MOINS EN MOINS ACADÉMIQUE POUR LES AUTEURS.

« Des grands peintres, on retient le nom. » C’est avec cette sentence pleine d’honnêteté que Glénat vient de lancer une nouvelle collection, baptisée Les Grands Peintres. Trois albums pour lancer le mouvement (Jan van Eyck, Goya et Toulouse-Lautrec), dix annoncés chaque année, et tous mis en dessin par des auteurs différents, avec leur identité propre, mais qui tous revisitent un moment précis de la vie de leur peintre, lié à une de ses plus fameuses toiles. Un pitch d’une efficacité apparemment redoutable, mais pas vraiment original: pendant ce temps, chez le même éditeur mais hors collection, Milo Manara revisite la vie du Caravage, alors que chez Delcourt, les Belges Cornette et Flore Balthazar se concentrent sur quatre ans de la vie de la Mexicaine Frida Kahlo dans le roman graphique qui porte son nom. Avant eux, Picasso, Dali, Rembrandt ou Modigliani avaient déjà eu droit au même sort et au même principe de biographie en BD. Qui ne fait donc que commencer, même si le ressort du biopic en bande dessinée n’est évidemment pas neuf (Jijé relatait déjà en cases la vie de Don Bosco). Il n’est pas non plus limité à la peinture -on peut pointer dans les dernières sorties un Sartre et un Glenn Gould chez Dargaud. Et ce n’est pas le systématisme de la démarche qui étonne le plus -dans un marché hyper saturé de sorties, le recours à la marque devient un réflexe éditorial encore plus évident dans les biopics: même plus besoin de se trouver un titre. Non, le plus surprenant dans cette mode très biographique et picturale tient dans… la qualité et l’originalité des oeuvres proposées.

BD scolaire go home

Là où les BD historiques et autres Belles Histoires de l’Oncle Paul ont imposé des décennies durant une approche réaliste et souvent abominablement scolaire, les biopics d’aujourd’hui s’affranchissent de tout formatage, y compris stylistiques: le Vincent de la Hollandaise Barbara Stock (éds EP) brille par son minimalisme, Les Ménines (éds Futuropolis) sur Velasquez, est réalisé par un duo d’Espagnols très expressionnistes, à mille lieues du réalisme franco-belge ou du trait de leur modèle. Quant à Frida Kahlo, c’est elle qui se plie au graphisme de Flore Balthazar, et non le contraire. Autant de projets accueillis à bras plus ouverts que d’habitude par les éditeurs, mais souvent nés de l’envie des auteurs. Cornette confirme: « Je cherchais un sujet qui convienne d’abord à Flore (Balthazar, ndlr), mais qui pouvait aussi espérer trouver un éditeur. Frida Kahlo s’est imposée, d’autant qu’il existe une abondante documentation sur sa vie, contrairement à d’autres peintres comme Gustav Klimt. » Flore confirme: « A choisir, et parce qu’il y en a si peu, je préfère avoir des femmes comme personnages principaux. Beaucoup de choses me parlaient à titre personnel dans son parcours. Et la période que nous avons choisi de raconter, quatre années centrées sur elle, Trotsky et Diego Rivera, était d’une richesse incroyable d’un point de vue politique, artistique, personnel… Plus riche que dans la fiction. » Son scénariste confirme que le travail à partir d’un tel matériau biographique n’est pas moindre, au contraire: « Tu ne peux pas te permettre de raconter des conneries; tout doit être juste, et demande un gros travail de recherche. Beaucoup de dialogues de Frida par exemple sont authentiques. » Reste un paradoxe, présent presque partout: toutes ces BD parlent de peintres, mais à peine de peinture.

FRIDA KAHLO, DE JEAN-LUC CORNETTE ET FLORE BALTHAZAR. ÉDITIONS DELCOURT. 122 PAGES.

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TEXTE Olivier Van Vaerenbergh

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