Celui qui canardait les stars- Pilier de Rolling Stone, la bible de la contre-culture, Grover Lewis fut un apôtre du « nouveau journalisme ». Garnier le sort de l’ombre.

de Philippe Garnier, éditions Grasset, 446 pages.

Certains individus semblent aimanter les situations qui partent en vrille. Le journaliste américain Grover Lewis est de ceux-là: il est à Altamont, en 1969, lorsqu’un spectateur se fait tabasser à mort par une horde de Hell’s Angels lors du macabre concert des Rolling Stones, qui, pour beaucoup, sonne le glas des sixties; il marche trois pas derrière l’empereur du porno, Larry Flynt, quand celui-ci se fait canarder par un tireur invisible, qui le laissera tétraplégique…

Le journaliste français Philippe Garnier consacre un livre à cet illustre inconnu qui fut son ami. Il le fait avec cette maniaquerie un peu fétichiste qui était déjà sa marque de fabrique lorsqu’il interrogeait des stars hollywoodiennes déchues au bord de piscines décaties pour l’émission Cinéma Cinémas. Cela donne un livre unique, attachant et, comme toujours avec Garnier, un peu bancal à force de digressions. A travers Lewis, on découvre aussi l’histoire agitée de Rolling Stone, cette bible de la contre-culture où écrivaient Tom Wolfe et Hunter S. Thompson.

Son goût très sûr de la catastrophe lui venait sans doute de son ascendance. En 1943, ses parents, Big Grover et Opal, s’entre-tuent avec un pistolet acheté 10 dollars chez un prêteur sur gages. Grover Junior, 8 ans, est orphelin et myope comme une taupe texane. « Doctor of nothing « , il parvient tout de même à se faire embaucher au Star-Telegram, puis migre à San Francisco, où il intègre, en 1971, Rolling Stone. Là, il va devenir le maître incontrôlable d’un genre journalistique un peu particulier: le  » papier de tournage « . Il rôde sur les plateaux de cinéma et raconte, sur 10 ou 12 pages, tout ce qu’il voit. Tout. Surtout ce que le  » journalisme de promotion » ne raconte pas.

Ça balance pas mal…

Le voilà donc qui poursuit Robert Mitchum jusque dans les toilettes de sa caravane entre deux scènes des Copains d’Eddie Coyle. Ce qui nous vaut un portrait gratiné du grand « Mitch « ,  » avec sa tronche à bajoues aussi déglinguée qu’un vieux bus Volkswagen « . Premiers mots de l’acteur:  » Ça fait du bien des fois de se lever dans la journée. Je vois des filles habillées, pour changer.  » Et Grover Lewis de s’attarder longuement sur l’essaim de groupies – « Girl A « , « Girl B « , etc. – autour de l’acteur. L’un de ses running gags consiste à toujours décrire les attachés de presse du cinéma comme des  » gnomes  » pleutres, qui se font humilier jour après jour par le réalisateur ou la star – ici, Mitchum. Garnier a la bonne idée de publier l’intégralité de ce Last Celluloid Desperado, qui a rendu Mitch fou de rage.

Lewis récidivera sur le tournage du Guet-Apens, le chef-d’£uvre de Peckinpah – mais, là, il a trouvé plus fêlé que lui… – ou sur celui de La Dernière Séance, de Peter Bogdanovich. Chaque fois, le magazine writer nous montre ce que l’on ne raconte jamais: les attentes interminables entre deux prises, la cantine, les comédiens qui s’abrutissent à la Budweiser, le machiniste qui fait du gringue à la fille du coin.

L’amitié n’empêche pas Garnier de nous conter la lente déchéance de Lewis, qui s’éteint en 1995. Ni de pointer les imperfections des mythes un peu creux du  » nouveau journalisme  » et du style « gonzo ». Comme l’a dit cruellement Sinatra à Mitchum à propos des journalistes, pour le réconforter après l’article dévastateur de Lewis:  » Ils se pignolent et nous, on se paie des yachts. » Oui, c’est à peu près ça. l

Jérôme Dupuis

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