SCOTT MCGEHEE ET DAVID SIEGEL, LES RÉALISATEURS DE THE DEEP END, TRANSPOSENT HENRY JAMES DANS LE NEW YORK D’AUJOURD’HUI. ET FILMENT À HAUTEUR D’ENFANT L’HISTOIRE D’UNE FILLETTE NÉGLIGÉE CHERCHANT SA PLACE DANS LA JUNGLE DES ADULTES.

Voilà un moment déjà que l’on s’était résigné à classer à la rubrique « perdus de vue » Scott McGehee et David Siegel, duo de réalisateurs apparus dans la nébuleuse du cinéma indépendant américain au milieu des années 90 avec l’intrigant Suture, avant de signer, au tournant des années 2000, et sous le titre The Deep End, un saisissant remake de TheReckless Moment de Max Ophüls. S’il y eût bien par la suite Bee Season (Les mots retrouvés), ce dernier n’allait pas laisser un souvenir impérissable, Uncertainty n’étant pour sa part pas même distribué sous nos latitudes. C’est dire si What Maisie Knew (lire la critique page 22) apparaît à certains égards comme le film de la renaissance; celui, aussi, d’un retour aux « sources », s’agissant de leur présence au festival de Gand, 19 ans après y avoir dévoilé Suture« si loin, si proche », dira McGehee, songeur. A l’origine de What Maisie Knew, il y a le roman éponyme, écrit par Henry James en 1897. C’est dire si la modernité du propos, redéployé dans le New York d’aujourd’hui, et qui accompagne une fillette ballotée au gré de la lutte pour sa garde que se livrent ses parents divorcés, ne manque pas d’interpeller. « Le mérite en revient pour bonne partie aux scénaristes, souligne David Siegel, même si le roman lui-même, avec les situations qu’il dépeint, a une résonance surprenante. Le scénario que nous avons lu circulait depuis un bon moment déjà, et s’il avait quelque chose d’un peu daté, il avait aussi une légèreté du trait dans l’approche du sujet qui nous attirait. Une fois impliqués dans le projet, nous avons tenté de le rendre plus pertinent et plus contemporain. Une chose que nous avons faite, par exemple, c’est de situer l’histoire dans downtown plutôt que dans le Upper West Side, afin de capter la vibration des rues de New York. En plus d’une manière de tourner dont nous pensions qu’elle rendrait l’histoire plus actuelle. »

Et de composer, pour ce faire, un univers en accord avec la perception d’une enfant, sans y sacrifier pour autant le réalisme, volonté traduite tant dans la palette de couleurs que dans la qualité de la lumière ou dans le choix des décors. L’ensemble du film est envisagé, en effet, du point de vue de Maisie, du haut de ses sept ans -soit de leur propre aveu, le défi majeur de l’entreprise, relevé haut la main, cela étant. La prestation de la toute jeune Onata Aprile n’y est certes pas étrangère, qui confère à Maisie et, partant, à son histoire, justesse et vérité. « La trouver fut encore plus difficile que nous ne l’avions imaginé, sourit Scott McGehee. Nous avions commencé les auditions bien en amont, conscients que cela risquait de durer un certain temps. Notre directrice de casting a vu des centaines de fillettes, et on était sur le point de se décourager, lorsque Onata s’est présentée. C’était une fille du coin, qui vivait à quelques blocs des bureaux où on auditionnait. Elle est actrice, a un agent, et je ne sais pas pourquoi elle a mis autant de temps à se présenter. Elle avait l’âge approprié, et toutes les qualités requises (…). » La première étant ce naturel qui ne l’abandonne jamais chemin faisant, alors qu’elle est confrontée au chaos familial qu’incarnent Julianne Moore et Steve Coogan, parents séparés et trop accaparés par leurs vies d’adultes pour savoir que faire d’une enfant.

Dans un contexte à semblable teneur émotionnelle pointait encore le danger de verser dans un sentimentalisme excessif. « Nous l’avons anticipé, et nous avons travaillé dur pour l’éviter, précise McGehee. Tout le monde, sur le projet, était bien conscient que le sentimentalisme pouvait tout détruire. C’est même un élément que nous avons intégré lors du casting de Maisie: il était indispensable de trouver une enfant qui n’induise pas cette idée, mais qui dégage quelque chose d’honnête. » En sa compagnie, McGehee et Siegel continuent à explorer, avec un mélange de tendresse et d’acuité, ce qui semble s’imposer comme le motif récurrent de leur cinéma, cette cellule familiale saisie d’incessants soubresauts. « Il nous est difficile de pointer ce type de récurrences, d’autant plus que cela ne prend pas en compte nos nombreux projets avortés, qui ne traitaient pas tous de ce genre de sujet, observe David Siegel. Mais il est vrai que nous sommes fort intéressés par le mélodrame américain classique, et cela depuis que nous avons commencé à travailler ensemble. Beaucoup de ces films impliquent des familles, qui sont le moteur de l’histoire ou de conflits, et conditionnent les dilemmes auxquels sont confrontés leurs protagonistes. Peut-être cela s’est-il imprégné en nous. Il s’agit aussi d’histoires tournant autour de l’identité, et de la manière dont les gens l’établissent dans une structure sociale plus large, et ces éléments nous ont toujours intéressés en tant que cinéastes. »

Le cinéma de Douglas Sirk notamment est passé par là, ce dont ils conviennent bien volontiers, louant le caractère « subversif » de films se révélant fort différents de ce qu’ils semblent devoir être en première instance. Les leurs, de The Deep End à What Maisie Knew, en passant par Bee Season, se situent sur une ligne guère moins féconde. Suggère-t-on la notion d’implosion de la famille moderne, qu’ils répondent en termes de fractures: « Beaucoup d’entre nous construisons notre identité à travers ces sortes de fractures et reconnexions successives se produisant au sein d’une famille. C’est là, sans conteste, un thème qui traverse notre filmographie. » Et qui, dans le cas de Maisie, trouve une expression particulièrement enlevée…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers

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