LES 29 ET 30 OCTOBRE, LE WEBZINE PITCHFORK ORGANISE À PARIS SON PREMIER VRAI FESTIVAL HORS DES ETATS-UNIS. RETOUR SUR UNE INCROYABLE SUCCESS STORY.

Depuis maintenant une petite dizaine d’années, Pitchfork (fourche en français) et ses cotes sur 10 avec des virgules font frémir toute l’industrie indie du disque. Comment un site Internet créé au milieu des années 90 par un gamin du Minnesota est-il devenu l’un des médias les plus influents du music business? On est pourtant loin d’un remake de The Social Network version Webzine avec Ryan Schreiber à la place de Mark Zuckerberg et des gamins dont les dents rayent le parquet.

 » Do you remember the first time?« , lui demanderait sans doute Jarvis Cocker. Soyons précis. Schreiber poste son premier texte le 1er février 1996.

 » Ryan était fasciné depuis longtemps par la culture fanzine. Obsédé par la musique, il a cherché à créer quelque chose de similaire« , explique Chris Kaskie, président de Pitchfork et depuis 2004 son premier employé à temps plein.

Dépourvu de photocopieuse, Schreiber a l’idée géniale d’appliquer l’approche « zine » au Web. Employé de magasin de disques biberonné à MTV tout juste sorti de l’école, il décide à 19 ans de créer son propre site Internet. Ecrit sur Sonic Youth (c’est encore grâce à lui qu’on vient d’apprendre la séparation de Thurston Moore et Kim Gordon), Fugazi, les Pixies… Et intitule son bébé Pitchfork. Un nom piqué à un tatouage de Tony Montana dans Scarface.

Début 2000, Schreiber déménage son jouet de Minneapolis à Chicago. Engage quelques freelances et codifie ses reviews. Un long texte très personnel coté sur 10 avec une décimale. Son plus grand atout? Alors que le papier entre en crise, Pitchfork offre aux journalistes et aux lecteurs un espace qu’ils ne trouvent plus ailleurs.

Sa fréquentation reste cependant extrêmement confidentielle jusqu’à la critique dithyrambique (10,0) qui accompagne le Kid A de Radiohead. Même si on se moque de sa prose, Pitchfork est de plus en plus lu. Son nombre de visiteurs explose. Passe à 5000, puis 30 000 par jour.

 » Pour la plupart des contributeurs, il s’agissait au début de pondre 300 mots sur un disque et de balancer quelques vannes. Tant mieux s’il y avait un peu de fond musical, note l’éditeur en chef Mark Richardson sur le site. Nombre des premières critiques parlent beaucoup de conneries et peu de musique. Une vieille tradition dans l’histoire de l’écriture rock. Mais petit à petit, la qualité s’est améliorée. La connaissance de la musique aussi.  »

Référent culturel

En 2004, Pitchfork cimente la carrière d’Arcade Fire et aide son premier disque Funeral à devenir l’une des meilleures ventes d’albums du XXIe siècle. Sufjan Stevens, Interpol, Clap Your Hands Say Yeah… Aujourd’hui, on ne compte plus le nombre de carrières lancées par le site de Schreiber. Il attire 3 millions et demi de visiteurs uniques par mois et possède une équipe d’une trentaine de personnes à temps plein et partiel et entre 40 et 60 collaborateurs.  » Nos critiques, que nous considérons comme des membres à part entière du staff même s’ils sont rémunérés en tant qu’indépendants, viennent des 4 coins du monde, reprend Kaskie. Les plus jeunes en terminent avec l’adolescence et les plus vieux approchent de la cinquantaine. On attend d’eux qu’ils se sentent libres et en position d’exprimer leurs opinions.  »

Pitchfork travaille aussi constamment à rendre l’expérience de l’utilisateur aussi agréable que possible.  » Nous avons énormément de contenu sur notre site et des textes peuvent vite s’y perdre. Nous passons la majorité de notre temps à utiliser Pitchfork comme nos lecteurs et nous nous développons en conséquence.  »

Les ventes d’albums ont chuté de 38 % sur les 10 dernières années. Mais selon Nielsen Soundscan, 100 000 albums sont sortis aux Etats-Unis en 2009 contre 60 000 seulement en 2005. L’auditeur a plus que jamais besoin de tri, de sélection…

 » Notre histoire et notre intégrité expliquent la fidélité de nos lecteurs. Grandir lentement, intelligemment, avec à l’esprit l’intérêt de ceux qui nous suivent est absolument crucial. Internet a permis à tout le monde de devenir critique. Mais avec toutes ces voix qui s’élèvent, les gens ont besoin de repères. De références vers lesquelles se tourner et en lesquelles avoir confiance.  »

Suivi par les geeks, les prescripteurs, les journalistes, Pitchfork n’est plus juste un Webzine. Il est devenu ce qu’on appelle un référent culturel. Le truc qu’on cite en société pour adouber ou démonter un groupe. Parfois même sans l’avoir entendu. Sa réputation vit bien au-delà de son lectorat.

Grandir sans se perdre

Dans les années 90, Pitchfork snobait des sorties de rap et de hip hop comme Nas et le Wu Tang. Aujourd’hui, il est l’un des plus ardents défenseurs de Kanye West et propose des mixtapes rap gratuites (Out of the trunk). Certains y voient une tentative d’élargir son nombre de fidèles, de poursuivre l’expansion. Schreiber parle d’évolution logique. D’une approche plus large de la musique.

En 2008, Pitchfork signe un partenariat avec Take-Two Software, participe aux bandes-sons de jeux vidéos, lance sa chaîne de télévision en ligne Pitchfork.tv. Il s’associe aussi en 2009 à ABC News et tente de faire connaître de jeunes artistes aux plus vieilles générations.

Comment conserver son authenticité et son intégrité en grandissant? Schreiber affirme s’être écarté de la rédaction pour éviter tout conflit d’intérêt avec les annonceurs. A l’été 2010, il lance Altered Zones, un collectif de jeunes bloggeurs aux goûts obscurs, et établit un partenariat avec Kill Screen, un magazine de jeux vidéo expérimental.

 » Schreiber et son équipe se sont mis à organiser des concerts, note le Time Magazine, pour les mêmes raisons que le site a vu le jour. Aucun endroit ne proposait la musique que lui et ses amis voulaient entendre à un prix qu’ils étaient prêts à payer.  »

Pitchfork tient son propre festival à Chicago depuis 2006. Propose des concerts lors de South By Southwest à Austin et du CMJ à New York. A un temps pactisé avec le All Tomorrow’s Parties de Minehead et possède chaque année sa scène au Primavera de Barcelone. L’événement parisien planté dans la grande halle de La Villette ces 29 et 30 octobre n’en sera pas moins son premier vrai festival en Europe. Il réunira entre autres Bon Iver, Aphex Twin, Four Tet, Pantha Du Prince, Jens Lekman…

 » Nous possédons un lectorat fort et loyal en France, termine Kaskie. Les Frenchies ont comme nous la réputation d’être difficilement impressionnables. C’est un challenge amusant.  »

WWW.PITCHFORKMEDIA.COM

TEXTE JULIEN BROQUET

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