Depuis deux décennies, on en parlait comme du loup blanc discographique, mais le premier volume de ces miraculeuses archives sonores du ténébreux canadien vaut-il l’investissement?

Chez le distributeur officiel, pingre, pas de promo disponible pour Neil Young Archives-Vol. 1 (1963-1972). Focus investit donc 98,90 euros pour l’objet version CD, laissant aux amateurs plus fortunés l’acquisition des mêmes Archives en DVD ou Blu-Ray facturée au-delà des 200 euros. Le coffret de 8 disques offre 7 heures 46 minutes et 8 secondes de musique. La plupart des titres inédits sont en fait des outtakes, version live ou mix alternatif, de chansons déjà éditées. Analyse détaillée.

Early Years (1963-1968)

Marrant d’entendre dans ces premières chansons -avec The Squires- une certaine innocence sixties, soit des (quasi) instrumentaux qui rappellent à la fois les surf groups US et les Shadows aux guitares galopantes. Un semblant de country préhistorique gratouille le jeune Young dès Hello Lonely Woman, mais il faut attendre la dixième plage -première version de Sugar Mountain– pour ressentir les prémices d’une école du chant plaintif et de la mélodie en papier de verre. Malgré le round up de réels inédits , ce premier CD n’a de véritable intérêt que par sa tentative de déceler l’ADN du loner, et un tiercé de chansons qui boucle le disque sous le panache de Buffalo Springfield… (Durée: 79’35 »)

Topanga (1968-1969)

Ce disque-ci signe clairement la naissance d’une étoile, rare et graphiteuse. Young a déjà les chansons majeures extraites de son premier trente, celles qui vont dessiner sa présence notoirement en marge ( The Loner) et d’autres cimenter sa vocation électrique ( Down By The River). Le Topanga du titre, c’est la maison près de Los Angeles où le Canadien fabrique ses bizarres rêves californiens, dégelant sa banquise intérieure sous les cactus locaux. Manson n’est pas si loin, les mauvaises vibrations non plus. L’événement reste néanmoins sa rencontre avec Crazy Horse circa 1968, une bande de bras cassés qui, pour des raisons purement chimiques, fait -formidablement- prendre la soude caustique youngienne. (Durée: 68’19 »)

Live At The Riverboat (Toronto 1969)

Comme l’indique l’intro parlée, Neil-de-ce-temps-là tâte volontiers de la plaisanterie en public, jouant le jouvenceau d’un curieux stand up, tendance absurde. Mais les chansons, elles, filent droit dans une implantation folk que Young conjugue en solo ou, sur la fin, avec le bassiste de Buffalo Springfield. Et toutes ces chansons de glisser sur le public comme des bilboquets en pamoison. (Durée: 56’52 »)

Topanga 2 (1969-1970)

Oh le beau son… Il ouvre le disque tout en guitares fermes et voix fraternelles qui présentent un Young au sommet précoce de son art. Retour dans le canyon hippie certes mais avec une année de plus, chargée d’outrages discrets -crises d’épilepsie- et de la reconnaissance d’un talent insulaire. Les extraits de l’album Déjà vu -signé Crosby, Stills, Nash & Young- exposent un sens de l’harmonie et des arrangements qui ne saurait vieillir… Autrement dit, la valeur americana dans toute sa sagesse psychédélique, mix de juvénilité obligatoire et relents d’une église qui n’abandonne jamais ses prédications premières. Ce qui s’avère la définition de I Might Have Been qui conclut l’affaire. (Durée: 45’30 »)

Live At The Fillmore East (New York 1970)

Accompagné de Crazy Horse, Young fusille une quarantaine de minutes de brouillard électrique dans la mythique salle new-yorkaise de Bill Graham. 1970: année de la grande lessive hippie tournant au noir. La douceur implose sous les coups de six cordes écartelées auxquels Young & C° accrochent les cadavres. Les quatorze minutes dantesques de Cowgirl In The Sand racontent cela aussi. A noter que la version DVD de ce disque comme celle du troisième live du coffret ( Live At Massey Hall) sont déjà sorties en 2006 et 2007. (Durée: 43’19 »)

Topanga 3 (1970)

Centré autour de l’album After The Gold Rush, celui-là déroule son matériel bien connu, son Southern Man narquois qui lui vaudra la réplique (amicale) des Sudistes Lynyrd Skynyrd, le tube indolent Only Love Can Break Your Heart et puis cet Ohio chanté avec Crosby, Stills et Nash, qui fustige la répression des émeutes à l’Université Kent State faisant quatre morts parmi les étudiants. Le canyon californien en résonne encore. (Durée: 47’52 »)

Live At Massey Hall (Toronto 1971)

Neil, en solo acoustique, raconte sa vie, qu’il tombe amoureux d’une actrice en regardant un film ( A Man Needs A Maid), égrène la liste des malheurs de l’Amérique du moment (Nixon et les massacres de Kent State). Un disque bâti avec une ferveur qui ne sera peut-être plus jamais la même. Il y rode encore une façon de charmer qui passe par des monologues livrés à l’assistance -extatique- avec une candeur déconcertante. Neil dit qu’il est parti au Sud chercher la musique qu’il comptait bien y trouver, mais sans oublier son Canada. La salle rugit de plaisir. Nous aussi. (Durée: 67’37 »)

North Country (1971-1972)

Celui-là comporte l’une des raretés véritablement détonantes du coffret: une splendide version d’ A Man Needs A Maid, où la voix lancinante du chanteur est mise en abîme par les sublimes arrangements de cordes du London Symphony Orchestra. Le disque parcourt principalement Harvest, sorti en 1972, sans aucun doute l’album le plus célèbre du Canadien. Neil y chante The Needle And The Damage Done, inspiré par les ravages de l’héroïne jusque dans son entourage immédiat. Quelques mois après cet enregistrement, Danny Whitten, guitariste de Crazy Horse congédié par Young pour cause d’addiction majeure, overdose à L.A. avec les 50 dollars donnés par le chanteur. (Durée: 57’04 »)

Bilan

On est content d’avoir fait le voyage, épaté par la qualité musicale durable de ce granit youngien: qui d’autre a composé autant de ballades aussi bien fissurées par le spleen? Content d’avoir pu entendre les souvenirs rincés à l’eau claire du remastering, on aurait néanmoins aimé quelques surprises: 13 chansons (dont la plupart des années 60) réellement inédites sur 116 titres, c’est décevant. Neil, pour la suite, tu peux faire mieux…

Texte Philippe Cornet

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