À l’occasion d’une master-class à Paris, le réalisateur du Parrain s’est livré à un arrêt sur carrière, riche en souvenirs et en projets le ramenant aux sources de son cinéma.

Quand je suis sorti de l’école de cinéma, je pensais sincèrement écrire pour les autres. Puis je me suis marié assez jeune et j’ai vite eu des enfants. J’étais ravi mais je me suis rendu compte que je devais gagner plus d’argent! Je me suis résolu à passer à la réalisation, mais personne ne voulait financer mes films expérimentaux! Quand j’ai reçu une offre pour réaliser un film de studio, mon jeune assistant m’a dit: « On a besoin d’argent. De toute la bande tu es le seul qui puisse le faire! » L’assistant c’était George Lucas, le film, Le Parrain . »

Vingt-sept ans après le succès, toujours incontesté, du film, c’est en véritable maître que Francis Ford Coppola vient rencontrer les cinéphiles au Forum des Images de Paris. Cet homme aux racines européennes mais aux manières si américaines, ce corps lourd et un peu gauche qui ne semble être là que pour porter un esprit, ce cinéaste qui a connu autant le succès que l’échec, incarne à la fois le meilleur du cinéma, et ses dérives. Pour un Apocalypse Now, il y a un Cotton Club, pour un Rumble Fish un Rainmaker, pour une Conversation un Michael Jackson en 3D à Disneyland dans Captain EO. C’est que Coppola est un artiste constamment à la recherche de son identité, frustré d’être assimilé à Hollywood, lui qui a bâti sa légende depuis San Francisco. Très attaché à la famille, qu’il a si bien décrite dans les trois Godfather ou tout récemment dans Tetro (voir encadré), il est aussi satisfait de sa réussite que de celle de ses enfants (Sofia, qu’il produit, en tête).

Second souffle

A presque 70 ans, il s’est soudain détaché de sa bande d’amis (Spielberg, Lucas, Scorsese, De Palma, glorieux survivants du Nouvel Hollywood devenus maîtres et esclaves du box office) en revenant à un cinéma (relativement) fauché de l’essai, qu’il finance grâce à ses vignes et ses hôtels. Il explique: « Je me sens comme Orson Welles dans cette scène de Citizen Kane où son éditeur vient le voir parce que son journal perd 250 000 dollars par an et où il répond qu’à ce rythme ils peuvent encore publier pendant 200 ans! » Libéré, donc, il abandonne Megalopolis, le projet pharaonique qui l’obsédait depuis des années, et signe, en 2007, Youth Without Youth, qui voit (2 ans avant Benjamin Button) Tim Roth rajeunir mystérieusement, à l’image d’un réalisateur qui semble trouver une seconde jeunesse. « Tenter de monter Megalopolis , c’était comme courir pendant 10 ans après une femme splendide mais inaccessible. Je n’arrivais plus à penser à autre chose. Et soudain, j’ai croisé cette fille mignonne, et c’est elle qui me draguait, et elle était toujours d’accord avec moi! » A bien des égards, c’est comme si Coppola repartait à zéro. Y compris lorsqu’il commet quelques erreurs de débutant. Comme si cette £uvre à rebours était vraiment son premier film. Qu’importe, puisqu’il a aussi retrouvé la fraîcheur, l’insolence presque, d’un jeune cinéaste, comme le prouve aujourd’hui Tetro. N’allons cependant pas croire qu’il n’a pas retenu quelques leçons de ses tournages parfois littéralement apocalyptiques. Il donne par exemple ce précieux conseil: « Le réalisateur doit constamment prendre des milliers de décisions. Il y en a certaines sur lesquelles vous passez beaucoup de temps, comme le choix des acteurs, d’autres qui sont guidées par l’instinct. Mais pour la grande majorité, vous ne connaissez pas la réponse. Essayez de résumer chaque film par une formule clef, si possible un seul mot. Revenir sans cesse à ce thème vous aide à définir un style cohérent. Par exemple sur The Conversation , la clef était l’intimité. Ça a guidé à la fois le choix de la musique (un piano seul) ou celui de l’imperméable de Gene Hackman (pas celui d’un détective privé, mais le plus léger, celui qui le protégerait le moins). »

Si son hôte de ce soir de novembre 2009, Pascal Mérigeau, prend un plaisir bien légitime à l’interroger sur les magiques années 70, Coppola est surtout avide d’évoquer le futur. « Tous les langages évoluent, et le cinéma évoluera encore. Murnau avait une théorie intéressante sur le parlant. Il pensait que c’était inévitable, mais que c’était arrivé trop tôt, juste avant que la maîtrise du muet atteigne son apogée. Aujourd’hui le cinéma digital est devenu une réalité, et dans quelques années la pellicule disparaitra même des salles. » Balayant d’un revers de la main le problème du piratage, il enchaîne avec passion: « Si toute la chaîne est digitale, le film n’est jamais fixé, il est potentiellement toujours en mouvement, il peut être réajusté à chaque instant par l’auteur, adapté à un public, aux circonstances. Pour la première fois, le cinéma sera bientôt malléable, il pourrait même être exécuté comme une £uvre vivante. » Malicieux, il conclut: « Quelles en seront les implications? Je vous laisse réfléchir là-dessus! »

Plus d’informations et la vidéo de l’entretien sur http://www.forumdesimages.fr/

Texte Matthieu Reynaert, à Paris.

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