Pionnier du rap, Grandmaster Flash a changé la face de la musique populaire. Il est de retour après 20 ans d’absence.

Les mythes ont la peau dure, mais tout de même: qui aurait cru ça? Trente ans après ses premiers exploits, Grandmaster Flash est de retour. Pionnier du hip hop, le DJ a largement contribué à la naissance du mouvement. C’était à la fin des années 70, quand s’affrontaient par sound-systems interposés, le géant Kool Herc, le charismatique Afrika Bambaata et Flash, soit la sainte trinité du rap. La suite est connue, le phénomène s’emballant jusqu’à sa domination actuel-le de la scène pop mondiale. Ou comment du chaos urbain le plus dantesque – le Bronx dévasté des seventies – est née une musique devenue universelle… « Dès le départ, le hip hop avait vocation à devenir global, explique Grandmaster Flash à l’autre bout du fil, à New York. C’est une musique créée par des DJ, qui écoutaient de tout: pop, jazz, blues, folk, r’n’b,… Il n’y avait pas de frontières. Au contraire, ce que des mecs comme Kool Herc, Afrika Bambaata ou moi-même avons fait, c’est d’établir des ponts. »

C’est d’ailleurs le titre de son nouvel album, The Bridge, forcément un petit événement. Il y convoque un casting quatre étoiles: de Snoop Dogg à Q-Tip en passant par Busta Rhymes mais aussi les dames Princess Superstar ou Natacha Atlas. Il fallait bien ça pour rendre hommage au vétéran. Au plus grand? A chaque fois qu’on lui pose la question, Flash préfère qu’on le désigne plutôt comme le premier. « Cela, on ne pourra jamais me le retirer », glisse-t-il, malin. Et après tout, c’est bien de cela qu’il s’agit. Né Joseph Saddler (le 1er janvier 1958), Grandmaster Flash grandit dans le Bronx, élevé par ses parents immigrés des Barbades. A l’époque, le quartier new-yorkais est zone sinistrée. Les promoteurs immobiliers y brûlent régulièrement des immeubles pour toucher les primes d’assurances. Un soir de 1977, lors d’un match de base-ball au Yankee Stadium, le commentateur sportif Howard Cosell lâche même en direct la phrase aujourd’hui célèbre, « There it is, ladies and gentlemen, the Bronx is burning », après qu’une vue aérienne du stade ait révélé les incendies dans les quartiers voisins…

Pierre de Rosette

Pas étonnant d’ailleurs que les langueurs disco qui triomphent alors ne trouvent qu’un écho limité dans les rues du Bronx. A la place, on y affectionne un funk plus agressif et saccadé. A la limite, on préfère même les rigueurs électroniques teutonnes de Kraftwerk. « La disco était super, mais ce n’était pas notre choix, explique aujourd’hui Grandmaster Flash. Avec Kraftwerk, on avait un disque qui nous convenait mieux. Pour moi, ce disque est même son « propre » DJ, dans le sens où il produit ses propres changements, ses propres ruptures, au fil du morceau. » En fait, tout ou presque fait farine au moulin des DJ de l’époque, du moment qu’il y a un bon break à en tirer. Entendez, celui qui permettra le mieux aux danseurs de se mesurer l’un à l’autre. « Quand j’ai commencé à regarder les autres DJ, je m’ennuyais. Pour moi, le meilleur passage de la chanson était toujours le plus court! Donc, mon truc a été de répéter le break qui m’intéressait en achetant deux fois le même vinyle. » Inventant ainsi la technique du cutting, Grandmaster Flash découpe et répète l’échantillon avec une précision et une rigueur inouïes. Même si ses premières prestations laissent perplexes… « Personne ne dansait, tout le monde regardait les bras croisés, en se demandant ce qui se passait. Je suis rentré chez moi dévasté. Mais j’ai continué mes essais, en même temps que j’apprenais à d’autres ma technique. J’ai dû dévoiler le secret. » Plus tard, Flash sera le premier à sortir un mix sur disque, Adventures on The Wheels of Steel, la « pierre de Rosette » du hip hop, selon le journaliste Harry Allen.

Mais Flash provoquera un autre bouleversement. Trop occupé sur scène à sa scien-ce du mixage, il pousse en avant le MC, le « maître de cérémonie » chargé d’assurer le show: la figure du rappeur est née. Ironie du sort, elle prendra même bientôt toute la place, la présence d’un DJ ne devenant plus qu’anecdotique…. « Je ne regrette rien. Cela a permis à cette culture de se faire largement connaître. » De fait, avec les rappeurs arrivent les premiers hits. Grandmaster aura le sien, immense. Accompagné des Furious Five, il sort l’emblématique The Message, premier rap « politisé ». En 2002, il deviendra le premier titre hip hop à intégrer le registre de la Librairie du Congrès américain. Aujourd’hui, Grandmaster Flash n’a pourtant aucune difficulté à avouer qu’il n’est pas pour grand-chose dans le succès du morceau. Conçu par le groupe maison de leur label, Sugar Hill Records, The Message est même le titre sur lequel Flash et ses acolytes sont le moins intervenus… N’empêche: le succès est là. Et il a un prix. Arnaque, deal mafieux, et drogues: l’aventure tourne rapidement au fiasco. Flash plonge un moment dans la coke, avant d’en ressortir groggy. Cowboy, l’un des Furious Five, n’aura pas cette chance… Sorti du trou, Grandmaster Flash recommencera à mixer.

Signe des temps: il est devenu récemment l’un des « promoteurs » officiels du système Traktor, à la pointe du mixage sur platines numériques. « Je ne suis pas conservateur, je suis là pour servir les gens. » Revenu de la gloire et de ses excès, Grandmaster Flash a donc remis aujourd’hui le pied à l’étrier, grâce au coup de pouce de Strut. En 2002 déjà, le label anglais avait sorti un CD récapitulatif du parcours du bonhomme ( The Official Adventures of Grandmaster Flash). Pour The Bridge, le défi était différent. « Le plus compliqué a été de rassembler tous les invités, de trouver un peu de temps dans l’agenda généralement surchargé de toutes ces stars. Un vrai cauchemar. »The Bridge a le grand mérite de ne pas se prendre la tête, fonctionnant comme une grande table d’hôte. Certes, le disque n’arrive pas à la hauteur de la légende de son auteur. Mais pouvait-il vraiment en être autrement? On n’invente pas tous les jours un nouveau genre musical…

Grandmaster Flash, The Bridge, Strut/Pias. En concert, le 3/04, au Depot, à Louvain.

Entretien Laurent Hoebrechts

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