Au Super Bowl du 1er février, Bruce Springsteen a vraiment chanté mais son E Street Band a mimé un playback préenregistré. La fin des illusions rock à la télé?

T rois millions de dollars les trente secondes. Laissons tomber le « on » journalistique, pour dire combien le « je » du fan de Springsteen, est considérablement déçu d’apprendre que la prestation du Boss à la mi-temps du Super Bowl 2009 est du faux direct. Expression choc, pornographique, dégradante, inimaginable. Oui, LE Bruce, marathonien de la sudation, Zatopek du rock épique, blue-collar insatiable de l’Amérique blessée, nous a pondu un demi-£uf déguisé en omelette baveuse. L’omelette en question, c’est douze minutes exclusivissimes à la mi-temps de l’événement médiatico-sportif de l’année nord-américaine: 98,7 millions de spectateurs ont choisi NBC ce soir-là, soit la deuxième audience de la télévision américaine de tous les temps, juste derrière l’ultime épisode de la série M.A.S.H. en 1983 qui fit exploser le tvmètre avec 106 millions de couch potatoes devant l’écran. Pour votre édification personnelle, sachez que les recettes publicitaires engrangées pendant la retransmission de ce (banal) match de foot ricain, atteignent 206 millions de dollars. Le prix de deux blockbusters hollywoodiens en une petite soirée. A trois millions les trente secondes, on imagine que chaque segment de pub est extrêmement réfléchi. Contrairement à l’usage de la musique.

Floué. C’est le sentiment éprouvé à la vision des quatre chansons interprétées par Springsteen & C°. Jouxtant l’armada déployée pour la circonstance – des cuivres et une méga-chorale sur Working On A Dream – , les vétérans habituels du E Street Band ont, de fait, enregistré préalablement leur contribution instrumentale. Trucage de bas étage digne d’une série Z sur AB 4.

C’est le Chicago Tribune qui révèle l’affaire, sans troubler le moins du monde les responsables de l’événement.

Une pratique banalisée

Ainsi Hank Neuberger, producteur du show Super Bowl pour NBC, explique tranquillement l’escroquerie:  » Il n’y a aucun moyen d’installer un groupe au complet en cinq minutes avec des micros, de tout régler, et d’espérer obtenir un son de qualité. Le Super Bowl a appliqué cette politique depuis des années avec pratiquement la totalité des artistes concernés » (1) . L’explication est faible. Comment font les groupes coincés dans l’embouteillage des festivals? Comment se débrouillent les formations live en (vrai) direct dans les talk-shows US? Ils ne font pas semblant, bouffent du charbon, emmerdent la technique et y vont. Max Weinberg devrait le savoir, puisqu’il dirige au quotidien l’orchestre live du Late Night With Conan O’Brien, énorme show populaire diffusé depuis 1993 sur NBC. Et Max a de l’expérience: c’est le batteur de Bruce Springsteen et du E Street Band, y compris dans la performance de faussaires du Super Bowl. Ce soir-là, pas sûr que Max ait été si fier d’être là. En playback, non annoncé, devant cent millions de spectateurs…

(1) Prince, Paul McCartney, U2, Janet Jackson, Stevie Wonder, The Rolling Stones, entre autres, se sont produits à la mi-temps du Super Bowl au cours de ces dix dernières années.

LA CHRONIQUE DE philippe cornet

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