Still Walking, le nouveau film de Kore-Eda Hirokazu, dessine le portrait sensible et profond d’une famille japonaise. Un film simple et universel, à l’ombre bienveillante du cinéma de Ozu et de Naruse…

Parmi les thématiques qui irriguent le cinéma de Kore-Eda Hirokazu, il en est une qui tient une place toute particulière, celle de la disparition. Déjà au c£ur du dispositif étonnant de After Life, le film qui révéla le cinéaste japonais, elle hantait encore le formidable Nobody Knows, pour y laisser quatre enfants livrés à eux-mêmes. On la retrouve, aujourd’hui, dans Still Walking (critique en page 28), £uvre sensible qui dévoile, en creux, la chronique d’une double disparition: celle d’un frère aîné, mort tragiquement quinze ans plus tôt, et dont on commémore le souvenir. Et celle d’un bonheur familial sans doute chimérique, dont le film porte les réminiscences en même temps que le deuil.

Le portrait de famille qui en découle allie une exquise finesse à une subtile profondeur. A l’abri de toute mièvrerie, mais dans un mélange d’humour, de mélancolie, voire de cruauté raffinée, le cinéaste s’insinue dans l’intimité de ces quelques personnes, dont il nous donne à partager, l’espace de vingt-quatre heures, le quotidien, fait d’amour, de petites histoires, de secrets, et de ressentiments. Cette famille nucléaire est aussi universelle, en effet, c£ur battant d’un film ayant le don de parler à chacun d’entre nous.

A l’origine de Still Walking, on trouve pourtant un drame personnel: « Le point de départ a été la mort de ma mère, explique le réalisateur, que l’on rencontre dans le confort tranquille d’un hôtel parisien, bouclant là un marathon d’entretiens. Après ses funérailles, je n’ai pu me résoudre à accepter sa disparition… » Et d’évoquer les remords, mais aussi le désir de mettre en forme les souvenirs de sa mère. « L’histoire est inventée, mais on y trouve une touche personnelle. Dans les dialogues, par exemple: la conversation de la mère est empruntée, pour bonne partie, à celle de ma maman. Et dans les impressions. Le choc qu’éprouve le fils lorsqu’il prend conscience du vieillissement de ses parents en découvrant la rampe et le carrelage de la salle de bains en morceaux, je l’ai moi-même ressenti lors d’une visite chez mes parents. »

Beauté du quotidien

Procédant par touches discrètes, le cinéma de Kore-Eda Hirokazu a cette faculté, rare, de prendre subtilement la mesure du temps qui passe. Considération qu’il soupèse dans un long silence, avant d’apprécier: « Dans After Life , des événements anodins de la vie quotidienne se muaient en souvenirs étincelants parce que les protagonistes se trouvaient au seuil de la mort. Il en va de même pour l’histoire de Still Walking . Condensée en une journée, et reposant sur une conversation d’une banalité confondante, elle prend un relief particulier du fait qu’elle s’inscrit dans le processus de vieillissement des parents et de la perspective de leur disparition. Le cinéma est à mes yeux un moyen privilégié pour donner une valeur spéciale à la banalité du quotidien, c’est là ce qui me touche dans ces histoires. Et le fait que, malheureusement, la beauté de ces instants n’est révélée que lorsqu’on les perd. »

Impossible, par ailleurs, à la vision de Still Walking, de ne pas penser aussi à l’univers de Yasujiro Ozu, l’un des grands maîtres du cinéma nippon. « Il y a, c’est vrai, une analogie. Ne serait-ce que du fait que le fils ne soit pas à la hauteur des attentes du père, un thème récurrent chez Ozu. Ce motif est lié, mais c’est aussi un motif éternel. Ce film a toutefois été plus marqué par le cinéma de Mikio Naruse – cette façon de filmer non de manière frontale, mais en plaçant la caméra sur le côté. C’était là un dispositif conscient, qui convenait au décor, au propos et à l’histoire que je racontais. »

En prise sur le monde contemporain

La prochaine réalisation de Kore-Eda Hirokazu devrait adopter des contours très différents, puisque Air Doll raconte l’histoire d’une poupée gonflable se découvrant bientôt une âme… Une façon, pour le réalisateur, d’embrasser du regard de sa caméra la solitude dans une métropole moderne. Manière, aussi, de se rappeler que son cinéma peut à l’occasion porter un regard aiguisé sur le monde contemporain, que ce soit à travers la délicatesse d’un portrait de famille, ou le destin d’enfants délaissés – Nobody Knows avait été inspiré d’un fait divers. Voire même, en accommodant un film de samouraïs à sa façon, ce que Kore-Eda Hirokazu fit joliment dans Hana, resté incompréhensiblement inédit chez nous: « J’ai écrit ce film après les attentats du 11 septembre contre les Twin Towers. A la suite de ces événements, le Japon a envoyé sur le terrain des troupes d’autodéfense qui ne quittent normalement pas le territoire japonais. J’ai voulu faire une sorte de fable plutôt que parler du temps présent, et transposer l’histoire à une époque où le code d’honneur imposait la vengeance, mais où des gens choisissaient néanmoins de ne pas l’exercer, comme ce samouraï, qui refuse d’adhérer au code d' »héroïsme » en vigueur. C’était, à mes yeux, une façon de parler du monde contemporain tout en contournant une histoire trop réaliste. » Du grand art, par un cinéaste passé maître dans l’expression discrète mais profonde des choses…

Rencontre: Jean-François Pluijgers, à Paris

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