SON CAPTIVANTALLELUIA SORT EN SALLES TANDIS QU’IL PART TOURNER SON PREMIER FILM AMÉRICAIN. ÇA CHAUFFE POUR LE TRÈS DOUÉ CINÉASTE BELGE!

À l’heure où vous lisez ces lignes, Fabrice du Welz est aux Etats-Unis, où il est appelé à réaliser un film de genre, « un thriller d’inspiration très très sombre, dans la lignée des films de Paul Schrader (1), une sorte de Get Carter moderne« . Mais l’actualité du cinéaste belge de Calvaire et de Vinyan est surtout pour nous la sortie de son fulgurant Alleluia (lire la critique page 20), évocation captivante de la trajectoire amoureuse et meurtrière d’un couple fusionnel à l’extrême. Un projet dont l’origine remonte à quelques années, lorsque du Welz eut le désir de tourner avec… Yolande Moreau. « Tout est né de cela, étonnamment, se souvient le réalisateur, de cette envie de faire un film pour elle et autour d’elle, après l’avoir rencontrée dans un festival. Je lui ai expliqué que ce serait un personnage de salope intégrale et à moitié dingue. Ce qui l’a beaucoup fait rire. Elle m’a dit: « D’accord, écris! » Le jour-même, j’ai revu Carmin profond, le film d’Arturo Ripstein, où il ancre dans son Mexique natal l’histoire des « tueurs de la lune de miel ». J’ai commencé à écrire, avec Vincent Tavier, en transposant l’action dans les Ardennes. Mais quand j’ai fait lire le scénario à Yolande, pour différentes raisons, elle a décliné…  »

Difficile aujourd’hui d’imaginer l’actrice belge en Gloria, tant Lola Duenas s’est emparée du rôle pour le faire sien! La comédienne espagnole, épatante déjà chez Amenabar (Mar adentro) et Almodovar (Hable con ella, Volver, Los Abrazos rotos, Los Amantes pasajeros), est entrée dans le jeu après que du Welz l’a vue dans Yo, también. « On m’a proposé des actrices françaises connues, mais j’avais la conviction qu’elles ne me donneraient pas ce que j’attendais… c’est-à-dire tout! Lola m’a dit: « Gloria, c’est moi. » Elle s’est jetée dans le personnage sans la moindre retenue. Elle m’a permis de travailler comme je le voulais: de manière totale et absolue.  »

Aliénation

Sorti « pas très bien » de l’expérience éprouvante de Colt 45, que son producteur français Thomas Langmann (« Je lui ai survécu, plus rien ne peut m’abattre!« ) lui retira pour le faire achever par un autre, Fabrice du Welz sentait qu’il serait « absolument vital » pour lui de faire Alleluia. L’essence même de son rapport au cinéma s’exprime dans ce film. « Mon métier, c’est une certaine chimie, une alchimie transformant des lignes sur du papier en expérience vivante, intime, pour le spectateur. Le réalisme ne m’intéresse pas, qu’il soit social ou psychologique, explique-t-il. La plupart des films réalistes m’ennuient, mis à part ceux d’Audiard. Justifier la violence par le contexte socio-économique, ça me plombe… Le cinéma, c’est la poésie! Je ne dis pas que je la trouve, mais je la cherche, en tout cas.  »

Du Welz a voulu « filmer le couple, sa construction puis son aliénation », en trouvant « la vérité dans les personnages« . Il a mis ces derniers « au centre, en les investissant d’humanité, ce qui n’est pas facile, ce sont des tueurs en série, tout de même… » « Je veux créer une empathie avec des personnages troubles, ambigus, approfondir l’exploration, la quête d’une humanité trouble, de ces âmes sombres, noires, solitaires, de l’amour fou, des comportements déviants, de ces pathologies sourdes, qui me fascinent tellement. Je n’ai pas d’autre ambition que celle-là. » Et de balayer tout reproche de provocation facile ou de misogynie, « car toutes ces femmes, dans le film, je les aime profondément« . Aimer tous ses personnages, « ne jamais les commenter, n’avoir aucun cynisme envers eux, être touché par chacun d’entre eux« , voilà ce à quoi aspirait un réalisateur qui considère Alleluia comme un tournant tant il a pu « être avec les personnages de la manière la plus totale, donc pouvoir aller plus loin avec eux, si loin qu’on me pardonnera plus de choses… »

La pellicule et rien d’autre

Si les protagonistes d’Alleluia ont un grain, le film en a beaucoup. L’image (tournée en 16mm) y est comme vivante, par la grâce d’une pellicule préférée au support digital haute définition se généralisant par ailleurs. « La pellicule n’a pas dit son dernier mot!« , clame un du Welz qui voit d’un très bon oeil que Christopher Nolan ait préféré le film au digital pour son nouveau Interstellar… « Lui et Scorsese vont faire beaucoup pour réhabiliter la pellicule, commente le cinéaste belge, l’exigence qu’on peut avoir avec cette dernière étant bien plus grande qu’avec le digital. Quand on travaille comme moi dans les basses lumières et dans les contrastes, le piqué est incomparablement meilleur, la stabilité d’image bien plus forte! J’aime distordre, malaxer la pellicule, je l’utilise comme élément dramaturgique. Je n’aime pas l’image lisse. L’image, la pellicule, doivent raconter quelque chose. Parce que je fais du cinéma! Je suis étonné que tant de mes collègues fassent des films où il ne se passe rien dans l’image. Comme si celle-ci, à la limite, ne les intéressait pas… Le son, aussi, doit raconter des choses. Je tends vers un spectacle global, comme le font Argento et Lynch. Comme une espèce de petit opéra, avec l’incarnation, la violence, l’amour, la vie et la mort… »

(1) LE SCÉNARISTE DE TAXI DRIVER ET RÉALISATEUR DE HARDCORE ET AMERICAN GIGOLO.

RENCONTRE Louis Danvers

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