Exploration du monde

Adepte du travestissement, Khruangbin se coupe la perruque en quatre... © Tamsin Isaacs

Avec Mordechai, Khruangbin s’émancipe des musiques instrumentales et fait chanter son âme de globe-trotter.

Un morceau chanté en espagnol inspiré par un film japonais qu’interprète un groupe texan portant un nom thaï (il signifie « avion » si vous voulez frimer en société). Quand il s’agit de faire voyager, Khruangbin est plus efficace que toutes les agences Neckermann du monde. Lorsqu’on leur parle, début mai, dans le crachin d’une mauvaise communication téléphonique, Mark Speer est à Oakland et Laura Lee Ochoa à Miami. Ils ont donné leur dernier concert au Bataclan en décembre et ne se sont plus vus en chair et en os depuis février.

Au moment de The Universe Smiles Upon You (2015), Khruangbin faisait une fixette sur les cassettes de funk thaï des années 60 et 70. Son successeur, Con Todo El Mundo (2018), lorgnait du côté de l’Iran, du Liban, de la Turquie, d’Israël. Ouvert d’oreille et d’esprit, Khruangbin aime l’exotisme. Le groove persan, le dub jamaïcain, les guitares congolaises et le psychédélisme du Moyen-Orient.  » Nous n’avons pas cherché à explorer un coin du monde en particulier avec notre nouvel album, explique Laura Lee. Rien n’est planifié. On laisse les choses aller. On n’a jamais essayé de sonner comme quelqu’un d’autre que nous. On voulait même que ce disque soit le plus universel possible. »

À l’image de Houston en somme, cette cité cosmopolite où le rock et la country côtoient chaque soir le zydeco, la trap et l’opéra d’avant-garde. Un carrefour culturel qui les a nourris et qu’ils célèbrent….  » Le monde entier est intégré dans la scène musicale de la ville, explique Speer. Tu y trouves des gens venus des quatre coins du monde, des sonorités de partout sur la planète. La diversité est une de ses particularités. Tu as des communautés coréenne, nigériane… À Houston, les cultures s’entrechoquent. » Les langues aussi forcément. Environ 90 sont parlées dans l’agglomération qui possède deux Chinatown, la troisième communauté vietnamienne des états-Unis et un théâtre bilingue anglais-espagnol…

Connu comme un groupe instrumental, Khruangbin avait sorti l’an dernier un remarquable EP, Texas Sun, avec le chanteur soul de Fort Worth Leon Bridges. Sur leur nouvel album, les voix sont omniprésentes. Ils chantent même tous les trois sur Time (You and I). Un tube disco du soleil multilingue sur lequel on jurerait entendre Nile Rodgers. Polyglotte sur les bords, Khruangbin joue avec l’anglais, l’espagnol ( Pelota et ses parfums sud-américains), le français ( Connaissais de face et son phrasé gainsbourgien)… Il aime quand les groupes utilisent une langue qui n’est pas la leur. Speer a toujours collectionné des albums de l’ailleurs, acheté des disques d’occase de groupes obscurs et de musiques atypiques.  » Ça m’a toujours fait du bien de fouiller dans les bacs des magasins de seconde main. Les rayons pop et rock débordaient mais j’allais toujours chipoter dans les autres. Plus petits. Plus intéressants… Ce que j’y découvrais ne sonnait pas comme ce que j’entendais à la radio. Et puisque je ne comprenais pas un mot de ce que j’entendais, la voix devenait un instrument. Ce qui me permettait de ne pas être perturbé par la signification des mots. » Le nouveau Khruangbin s’appelle Mordechai du nom d’un mec que Lee a rencontré par hasard en camping avec des potes londoniens. Voyant qu’elle n’allait pas bien, il l’a invitée à une promenade vers une chute d’eau avec sa femme et ses jumeaux. Une expédition initiatique après laquelle elle remplit 100 pages de ses pensées. Certaines devenant la matière première du disque.

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Air Khruang

On en oublierait presque de faire les présentations. Speer et le batteur Donald « DJ » Johnson se sont rencontrés à Houston dans le groupe de l’église méthodiste de St. John (celle de Beyoncé, Solange et du reste de la famille Knowles). Ils jouaient de la guitare et de l’orgue devant quelque 3 000 fidèles tous les dimanches. Lee, alors étudiante en Histoire de l’art, était pote du colocataire de Speer et se souvient qu’il était en train de regarder un documentaire sur la musique afghane ( Breaking the Silence) quand elle a fait sa connaissance. Avant de lancer le groupe, ils ont mangé des burgers et bu des bières pendant trois ans tous les mardis et servi de backing band à Yppah en première partie de Bonobo… A Calf Born in Winter, la chanson qui a servi de carte de visite à Khruangbin, fait référence à un veau né dans la propriété où se situe The Barn, leur grange, l’endroit où ils enregistrent leur musique. La ferme appartient aux parents de Speer et est située à Burton. Une petite ville texane de quelques centaines d’habitants. Comptez une bonne heure de voiture depuis Houston. Ils y façonnent leur univers au milieu des vaches et des oiseaux.

C’est son côté DJ. Sa facette découvreur… Le trio texan a créé un site internet (Air Khruang) qui permet aux utilisateurs d’obtenir des playlists Spotify personnalisées pour s’occuper en avion. Il suffit d’entrer son lieu de départ et sa destination. Dire si l’on préfère le thé ou le café. Choisir si on veut rester calé dans son siège côté hublot ou se lever et danser dans l’allée.  » Depuis quelques années, on passe notre temps sur la route et dans les airs pour nos concerts, termine Laura Lee. On voyage dans les cultures à travers la musique, la nourriture… Il est intéressant d’étudier comment la musique et certains de ses aspects se déplacent d’un endroit à l’autre. » Speer dissertait ainsi dans une interview sur l’influence incroyablement internationale des Shadows qui furent l’un des premiers groupes, au début des années 60, à partir dans une tournée mondiale qui ne se limite pas aux états-Unis et à l’Europe occidentale. Khruangbin a déjà fait plusieurs fois le tour du monde. Quatre de ses chansons ont été jouées plus de 20 millions de fois sur Spotify…

Mordechai, distribué par Dead Oceans/Konkurrent.

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