Le labyrinthe des passions – Pedro Almodovar plonge au cour de son cinéma et de sa cinéphilie pour livrer un mélodrame flamboyant, habité par une étincelante Penélope Cruz.

De Pedro Almodovar, avec Penélope Cruz, Lluis Homar, Blanca Portillo. 2 h 07. Sortie: 20/05.

Tout commence par une étreinte interrompue – celle d’un homme, aveugle, et de l’inconnue qui vient de lui lire le journal, surpris à même le canapé par Judit (Blanca Portillo), une visiteuse guère perturbée par ce curieux manège. Cet homme, c’est – ou plutôt c’était – Mateo Blanco (Llhuis Homar). Un accident survenu quatorze ans plus tôt l’ayant privé de la vue, ce cinéaste a définitivement adopté le patronyme d’Harry Caine, pseudo sous lequel il s’emploie à profiter de l’instant en jouisseur. Pour survivre, il écrit des scénarios, assisté de Judit, son ancienne directrice de production, et surtout du fils de celle-ci, Diego (Tamar Novas). Amnésique volontaire, Harry sera amené à rouvrir les pages d’un passé soigneusement enfoui. Réalisateur d’un film intitulé Filles et valises, il se consumait alors d’amour pour Lena (Penélope Cruz), son actrice principale, que convoitait également le producteur du film, Ernesto Martel (José Luis Gomez). Figure triangulaire classique, donc, au c£ur d’un labyrinthe de désirs contrariés…

Dix-septième long métrage de Pedro Almodovar, Los Abrazos Rotos adopte des contours sinueux en apparence, ceux d’un film placé sous le signe d’une double temporalité en même temps que s’y multiplient les figures duelles. Jusqu’à sa forme qui allie deux genres distincts mais résolument complémentaires, empruntant aussi bien au film noir qu’au mélodrame classique à mesure que s’y insinue le souffle de la passion. C’est là une matrice particulièrement féconde pour un Almodovar qui déploie toute la richesse de son art, signant un film aux atours rutilants mais s’insinuant au plus profond des sentiments, non sans l’assortir encore d’un brûlant plaidoyer cinéphile. Qu’il laisse le Voyage en Italie de Rossellini littéralement contaminer ses personnages, ou qu’il convoque l’ombre bienveillante d’un Alfred Hitchcock ou d’un Douglas Sirk, quand il ne moule pas une formidable Penélope Cruz dans les habits d’Audrey Hepburn, le cinéaste espagnol fait sien le précepte voulant que la vérité de l’écran supplante la vie. Un postulat séduisant, affirmé ici de lumineuse façon.

Mirage de la vie

Là réside pour partie le miracle d’une £uvre qui voit Almodovar évoluer avec bonheur dans le registre de la suggestion et dans celui de l’expression exacerbée. La fluidité du mouvement en sus, son film glisse d’une impression à l’autre, à quoi il ajoute une ampleur incontestable – celle qui le fait aborder le rapport du créateur à son £uvre, ou la question de la transmission.

Au confluent du thriller et du mélodrame, de sa cinéphilie et de son cinéma, de ses thématiques et de ses passions, Los Abrazos Rotos apparaît comme un film somme de l’£uvre d’Almodovar. Au-delà de cette intention sous-jacente, c’est aussi une £uvre d’une merveilleuse limpidité et d’une rare intensité émotionnelle. Mirage de la vie venu nous submerger, Los Abrazos Rotos n’est autre, pour peu que l’on accepte de s’y abandonner sans réserve, qu’un authentique enchantement .

www.etreintesbrisees-lefilm.com

Jean-François Pluijgers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content