Le jeu vidéo a aussi son secteur indépendant. Aidé par le Web, l’indie gaming sort de la confidentialité et intéresse désormais les grands éditeurs.

Aux avant-postes de la créativité, l’indie gaming ou jeu indépendant vivote depuis plus de dix ans à l’ombre des blockbusters. Des grosses productions commerciales dont une partie se contente de miser sur de fades suites ou sur des titres surfant sur la vague du moment. Le syndrome des séries chez Electronic Arts ou la mode du casual gaming que de nombreux éditeurs se contentent de copier/coller en témoignent. Ne répondant à aucune logique de marché, délaissant les graphismes tapageurs et racoleurs (mais pas l’esthétique), les programmeurs indé se la jouent Dogma version pixelisée. Là où des projets commerciaux mobilisent des armées de développeurs et créatifs, le jeu indé se limite à un budget serré et à des équipes restreintes: un artiste graphiste, un musicien, un concepteur designer et un programmeur. L’avantage? Une plus grande souplesse et une prise de risque éditoriale complète.

Version vidéoludique du Sundance Film Festival, l’Independant Game Festival (IGF) de San Francisco accueillait jusqu’à ce 22 février près de 300 projets. Si à l’heure d’écrire ces lignes, les nominés trépignent d’impatience, les lauréats de cette dixième édition ne sont pas encore connus. The Misadventures of P.B. Wint, The Illogical Journey of Orez, Gesundheit! ou Slumbers attirent toutefois déjà l’attention ( voir encadré). Inaugurant de nouvelles formes de mécaniques ludiques (le formidable Crayon de Petri Purho), s’ouvrant à des interfaces expérimentales ( Gordon’s Trigger Finger, first-person shooter « à un doigt » de l’université du Nevada), les jeux présentés à l’IGF multiplient les concepts révolutionnaires. Et si certains titres reprennent les chartes graphiques et iconiques entendues des jeux vidéo, d’autres s’apparentent plus à une installation numérique interactive digne d’être exposée dans un centre d’art contemporain. A l’image de Human Brain Cloud, jeu en ligne d’association de mots pensé par Kyle Gabler.

L’ALTERNATIF SE POPULARISE

Tout underground qu’il soit, le jeu vidéo alternatif se popularise ces dernières années grâce aux nouveaux modes de vente en ligne sur PC et consoles de salon. Au grand dam de Vivendi Universal, son ex-éditeur, le studio de Valve Software court-circuitait il y a quatre ans le schéma classique de distribution en magasin réel en lançant Steam, à l’occasion de la sortie de son très attendu Half-Life 2. Une révolution qui, à l’instar d’iTunes, permet au joueur de télécharger après paiement des jeux PC complets sans autre intermédiaire que le Net. Le service compte aujourd’hui près de 200 titres, où les mégaproductions récentes ( Bioshock, The Club…) tutoient des indie games applaudis parmi lesquels Geometry Wars ou le célèbre jeu de stratégie à tendance rétro Darwinia, grand vainqueur de l’IGF 2006

Si au départ, les gros éditeurs ont fait les frais de cette indépendance retrouvée, ils se sont rapidement réapproprié le terrain de la vente de jeux vidéo online (et par-delà, celui de la vente de jeux vidéo indépendants). Microsoft a renforcé il y a quelque temps l’offre en ligne de sa Xbox 360 via le Marketplace pour du téléchargement de contenu ( mods, films, thèmes etc.) payant. Afin d’être certaine que rien ne lui échappe (une veille habitude), la firme de Richmond a même lancé il y a deux ans Microsoft XNA, un programme de développement permettant à des amateurs de créer gratuitement des mini-jeux assez léchés. La boucle est bouclée.

De son côté, Sony a profité l’an dernier de l’engouement suscité par le nouvel opus de Gran Turismo pour connecter à son PlayStation Network (PSN) des milliers de joueurs avides du téléchargement de la démo de Polyphony Digital. Ce 14 février, le très attendu Everyday Shooter se retrouvait par ailleurs en téléchargement payant sur le PSN. Le titre qui s’inspire du mythique Rez a beau être développé par un créateur barré (qui ne met aucun 4 ni 5 dans ses lignes de code « parce que ces chiffres portent malheur » sic!), il ne rentre pas moins dans le rang des grands canaux de distribution officiels. Si une partie du microcosme labellisé « indépendant » ne l’est donc plus tant que ça, cette dynamique semble inspirer des mouvements assez impensables. Fait rare dans l’industrie, Bungie, signataire de la série des Halo sur Xbox 360 regagnait ainsi – partiellement – son indépendance éditoriale par rapport à Microsoft en octobre dernier.

Face à ces torrents de téléchargements et préoccupations mercantiles, les créations indépendantes en Flash ou Java tirent leur épingle du jeu, cantonnant les exemples commerciaux à de rares exceptions telles que Dofus sous nos latitudes (voir notre article ci-contre). Entièrement gratuits, Samorost de Jakub Dvor- sky (également auteur d’un jeu pour les Polyphonic Spree!), les Neko games de Yoshio Ishii et le dernier Guest House du collectif Terminal House le prouvent. Sans oublier Tri Achnid et la série des mini-jeux de Globulos, deux nominés à l’Independant Game Festival dont les gameplay renouvellent à merveille le genre plateforme et action/sport. En se retrouvant partiellement repris par le circuit commercial traditionnel (PSN, Marketplace, Steam…), le secteur indépendant des jeux vidéo valide en tout cas – comme l’avait fait le cinéma indépendant et d’art et d’essais en son temps – qu’il mérite la reconnaissance artistique qu’il peine à obtenir depuis de trop longues années. Déjà ça de pris finalement.

www.igf.com

TEXTE MICHI-HIROI TAMAï

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