Il n’y a pas si longtemps, on ne donnait pas cher de sa grammaire. L’anglais, avec la complicité de la culture américaine toute-puissante et le soutien logistique d’Internet, n’allait en faire qu’une bouchée lexicale. Et voilà qu’on apprend que le français fait mieux que résister. Du statut de moribond il est passé en une décennie à celui de valeur sûre, voire d’avenir. 10 % de pratiquants en plus sur dix ans. Et les prévisionnistes de l’Observatoire de la langue française tablent même sur un… triplement du nombre de locuteurs francophones à l’horizon 2050. Si les plans de vol sont exacts, on compterait alors 715 millions de francophones dans le monde. Merci qui? Non pas Paris, Bruxelles ou Montréal. Mais bien Dakar, Bamako et Kinshasa. C’est en effet l’expansion démographique de l’Afrique subsaharienne qui assurera la survie et le rayonnement de notre bel idiome. On ne dira bientôt plus la langue de Molière mais la langue de Senghor…

Un français plus juteux, plus sucré devrait donc émerger, fruit d’un métissage Nord-Sud. Une évolution qui chagrinera les nostalgiques d’un français « pur » (ce qui ne veut rien dire, le fond de sauce latin s’étant enrichi d’arabe, de russe ou d’italien au gré des rencontres, confrontations, échanges). Mais réjouira des esprits moins grincheux. Comme Alain Rey, le gardien avisé des Robert. Ou comme Régis Debray qui déclarait récemment dans L’Obs que le français, « c’est beaucoup plus grand que l’Hexagone. Il y a là une vitalité, une veine d’impertinence, une résilience qui ne renonce pas, en France, en Algérie, au Québec, au Liban« . Tout en nuançant immédiatement: « On est bien forcé pourtant d’observer chez nous un appauvrissement du vocabulaire, un tarissement du poétique, un « casse-toi pauv’ con » généralisé.  »

Est-ce en réaction à un risque d’ensevelissement sous un charabia creux poli au libéralisme? Ou en écho aux menaces diffuses de détournement du verbe et du sens par les idéologues de tous poils? Ou par simple nostalgie? Toujours est-il qu’on observe un réchauffement linguistique dans la sphère francophone. Les indices se multiplient. Prenez la pop. Si prompte à embrasser aveuglément le glossaire de Shakespeare (ou de McDo), elle a eu des accents très frenchies en 2014. De Christine and the Queens à Feu! Chatterton en passant par La Femme et Stromae, le sabir local s’est hissé haut dans les « charts » -oups, pardon, les « hit-parades »; ah zut, encore un anglicisme, va pour « les classements » alors.

A trop la diluer, on -c’est-à-dire les médias, la pub autant que les politiques- a fini par affadir la langue. Pour se distinguer de la masse bêlante qui régurgite un parler sans saveur, ou juste pour se reconnecter au socle en granit de son identité, l’intérêt pour les mots moelleux, les expressions imagées, les subtilités malicieuses gonfle comme une bouée de sauvetage. Une prise de conscience qui explique sans doute le succès de ces livres (les éditions Opportun qui portent bien leur nom s’en sont fait une spécialité) qui exhument à tour de bras ces locutions désuètes qui fondent dans la bouche. Le parallèle avec la mode des légumes oubliés, panais, topinambours et autres rutabagas, est tentant. Ici aussi on en revient à ce qui a du goût et à l’idée que la gastronomie locale tient bien au ventre.

La rentrée de janvier enfonce le clou. Outre un premier roman chez Belfond en plein dans le sujet (Trois langues dans ma bouche de Frédéric Aribit dans lequel un homme est rattrapé par sa langue maternelle, le basque, qu’il pensait avoir oubliée), la publication chez Plon du Dictionnaire amoureux de la langue française offre une occasion de (re)découvrir les trésors oubliés de notre patrimoine linguistique. Le passionné Jean-Loup Chiflet y déclare sa flamme à ce fleuve dont « la clarté et la netteté font qu’elle est la langue internationale de la culture » (dixit Rivarol, en toute modestie) au fil d’un abécédaire subjectif qui fait saliver les papilles. Anecdotes, extraits, mises au point, définitions, bios de ces grands fauves de la littérature que sont Flaubert, Baudelaire ou Camus, cette balade gourmande sur les sentiers plantés de spicilèges, de barcarolles ou de doryphores montre l’étendue d’un territoire méconnu dont nous sommes tous les propriétaires. Et que chacun est libre d’arpenter dans toutes ses largeurs, dictionnaire à la main.

PAR Laurent Raphaël

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