Comment financer et faire connaître sa musique en ces temps troubles pour l’industrie du disque? Plusieurs pistes se dégagent aux quatre coins du monde. Focus en a épinglé cinq qui prouvent que la révolution est en marche.

L’heure est au grand chambardement. Comme il a bousculé dans tous les spectres de la vie quotidienne nos petites manies et nos grandes habitudes, Internet a révolutionné le business de la musique. Déstructuré le circuit traditionnel de l’industrie. Fait vaciller les maisons et magasins de disques. Internet, c’est, pour les plus respectueux, la vente directe du producteur au consommateur. La baisse des prix et des coûts. L’achat possible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. C’est aussi le jukebox moderne, le MySpace généralisé. La musique à tous et pour tous. Un manque à gagner pour celui qui écrit, compose, produit, distribue et vend. La situation, anarchique, soulève énormément de questions. Mais une chose est certaine, Internet s’est affirmé comme un canal incontournable de diffusion. Qu’il serve à la vente ou se fasse uniquement outil de promotion. L’industrie de la musique n’a plus qu’à se réinventer. Une renaissance à laquelle chacun semble pouvoir et vouloir participer. Dans un passé relativement récent, quelques groupes comme Radiohead, The Charlatans et Nine Inch Nails ont donné leur musique sur Internet. Si les premiers ont fait appel aux donations, les seconds partaient du postulat que dorénavant le live rémunérerait les artistes. Tous trois, en tout cas, ont fini par sortir leur plaque sur support physique. NIN a même gagné 1,6 million de dollars en une semaine en écoulant 25 000 copies d’un onéreux coffret.

La révolution technologique peut se résumer à une problématique essentielle: comment aujourd’hui faire connaître et financer sa musique? Un tas d’idées plus originales les unes que les autres fleurissent. La jeune génération en a marre qu’on lui dicte ses choix. Elle veut participer, guider, propager. Elle s’exprime sur les blogs, crée ses radios et commence à intégrer des entreprises auxquelles elle insuffle ses idées. Emboîtant le pas au cinéma et à la publicité (intéressante porte de sortie en termes de notoriété avec parfois de belles petites opérations financières à la clé), un secteur « jeune » comme celui des jeux vidéo met les pieds dans le plat. La bandeson de Grand Theft Auto 4, qui s’est vendu à 4 millions d’exemplaires dans le monde le jour de sa sortie, comporte pas moins de 200 titres. Un record dans le monde des gamers. Et une bénédiction pour le téléchargement légal puisqu’un bouton « acheter » permet, en partenariat avec Amazon, d’identifier et de télécharger le morceau en fond sonore. Morceau issu (on s’en réjouit) d’une playlist plus rock underground que pop mainstream.

Nous avons identifié quelques pistes, modèles et initiatives susceptibles de faire avancer le schmilblick imposé par le numérique au monde de la musique. Le do-it-yourself a remplacé le wait and see…

1. La musique sponsorisee

Autant les sportifs pourraient se tatouer Jupiler sur les avant-bras, autant les artistes suscitent les critiques et les levées de bouclier quand ils décident de se faire sponsoriser.  » Les gens, tout heureux d’assister à des festivals gratuits, se demandent-ils qui rémunère les groupes », interroge Marka. Le chanteur bruxellois s’est associé au producteur de rhum Havana Club pour donner vie à son projet avec La Sonora Cubana.  » J’avais envie de faire de la musique cubaine et je ne suis pas convaincu que les firmes de disques auraient accroché, poursuit-il. C’est le merdier dans l’industrie. On m’aurait déjà probablement annoncé d’emblée: ton truc n’intéresse pas les Flamands. Dans les maisons de disques, on vire de plus en plus car on vend de moins en moins. Certains donnent leur musique sur Internet. D’autres passent sur de petits labels ou créent leur structure. Moi, je suis encore une autre voie. Je ne l’ai pas inventée. » Grâce à sa collaboration avec la célèbre marque de rhum, le chanteur a tourné dans pas mal de bars au nord du pays.  » D’habitude, je vends 2 500 ou 3 000 disques en Wallonie. Mon album avec la Sonora a été distribué à 10 000 exemplaires de part et d’autre de la frontière linguistique. J’ai trouvé un moyen de faire parler de moi. De toucher un maximum de gens. Ce projet aurait sans doute pu exister sans ce partenariat mais pas de la même manière. Pas avec pareille visibilité. » L’homme est tout sauf honteux du petit macaron publicitaire discret à l’arrière de son album.  » Est-il plus éthique de représenter Universal ou une marque quelconque? De toutes façons, tu travailles pour des patrons qui veulent gagner de l’argent et rouler dans des grosses bagnoles. »

www.marka.beMarka Y La Sonora Cubana, distribué par Daring Music/Havana Club.

2. Les marques innovantes

Associer son nom à un artiste, un disque ou un festival, c’est une chose. Se poser comme un acteur, voire un moteur, du renouveau en est une autre. Marque de vêtements, enseigne multinationale de cafés… Chacun a sa petite idée pour contribuer au progrès.

Dès 1999 par exemple, Starbucks a mis son grain de sel, puis de sable, dans la mécanique de l’industrie musicale. La chaîne de restauration a commencé par racheter Hearmusic, vendeur physique de disques aux Etats-Unis possédant sa radio sur Internet. Depuis 2004, il permet à ses buveurs de café et amateurs de viennoiseries d’écouter, de se faire graver ou plus récemment de télécharger ses chansons préférées. Starbucks, qui vient d’ouvrir son premier établissement en Belgique, représente plusieurs dizaines de millions de clients chaque jour dans plus de 15 000 points de vente avec un accès wifi gratuit. Sonic Youth lui a réservé son récent best of Hits are for squares. Quinze titres (plus un inédit) choisis par Beck, Radiohead, Gus Van Sant… « D’une certaine manière, Sonic Youth est une marque, explique à ce sujet son leader Thurston Moore. Les gens la connaissent mais pas nécessairement notre musique, un peu trop déviante. Nous avons toujours cherché le mainstream et dans ce genre de magasins, le consommateur de base peut avoir facilement accès à ce que l’on fait.  »

Pour sa part, Diesel cherche depuis 2000 à découvrir et soutenir les jeunes talents notamment à travers sa nouvelle plate-forme musicale Diesel: U: Music. Partant du principe que les musiciens et les fans détiennent les clés de l’avenir, la marque textile a créé une communauté, un réseau. Elle fournit l’opportunité de conseils, de concerts, de tournées. Ainsi, le 11 octobre prochain, Diesel organisera un méga happening dans 17 villes où se mêleront groupes établis et jeunes pousses.  » D: U: L recherche dans le monde entier le nouvel artiste. Pendant toute l’année, chacun, où qu’il soit sur la planète, peut enregistrer ses morceaux sur le site. Les fans sont aux commandes grâce aux critères de votes prenant en compte le plus grand nombre de connexions, la plus longue période en tête du classement et le plus grand nombre d’écoutes des morceaux », explique-t-on sur MySpace.

www.diesel-u-music.comwww.starbucks.com

3. L’internaute producteur

Tous les musiciens ne sont pas, comme Mercury Rev, prêts à vendre leur sang ou à se soumettre à des expériences psychiatriques ( » tu bois un verre de vodka, ils te passent un film porno et observent tes réactions », racontait Jonathan Donahue aux Inrockuptibles en 1992) pour financer l’enregistrement de leur album. L’argent demeure le nerf de la guerre. Mais Tourne Sol Production a ouvert, en mars dernier, un site communautaire permettant aux artistes de se faire produire par des internautes et d’ainsi récolter les deniers nécessaires au lancement ou à la poursuite de leur carrière. Le principe est simple. Le groupe ou musicien s’inscrit en ligne et peut choisir son objectif: l’album ou le single. Il télécharge ses démos, photos, vidéos, puis doit séduire les producteurs. Au total, l’artiste doit collecter 10 000 parts de 5 euros pour pouvoir mettre en boîte son disque et 3 000 pour voir naître son single. Une fois la somme réunie, il entre en studio où Akamusic met à sa disposition un responsable de projet qui l’accompagnera durant le processus. Seuls les producteurs recevront un CD (collector), les autres pourront télécharger les chansons sur Akamusic et autres sites partenaires (comme iTunes). La recette nette des ventes étant partagée entre l’artiste (40 %), ceux qui l’ont financé (40 %) et la plate-forme (20 %). « Un modèle semblable existe en Europe du Nord, explique Michel de Launoit, fondateur du projet. Je travaille dans la production depuis 15 ans et c’est, à mes yeux, une révolution. Une véritable construction communautaire. Pour l’artiste, parfois fort isolé dans la création, comme pour l’internaute qui peut donner son avis, assister à l’évolution d’une maquette et éventuellement – si 20 000 exemplaires de l’album ou du single sont vendus – en tirer des bénéfices financiers. On ne parle pas ici d’acheter un disque mais de vivre une aventure musicale. »

Mille artistes et 2 400 producteurs ont déjà rejoint Akamusic. V.O. KaL a enregistré son single. Alice et Fleen lui emboîteront le pas dans les prochains mois.  » Nous avons des contacts sur Bruxelles, Paris, la Suisse, l’Angleterre, reprend Michel de Launoit. Les groupes choisissent avec qui ils veulent travailler. Définissent leurs règles et besoins. » Ils ne sont pas tous novices. Jadis signé par Sony, Matthieu Bioul financera son troisième disque avec Akamusic.

www.akamusic.com

4. Le site communautaire payant

Les statistiques montrent qu’un artiste doit dépenser six fois plus d’argent et d’efforts pour gagner les faveurs d’un nouveau fan que pour rester en contact avec quelqu’un qui lui a acheté l’un de ses albums précédents ou a assisté à l’un de ses concerts. Hadouken! a trouvé le moyen de s’acheter la fidélité. Malin, le jeune groupe anglais a créé Aerials, une communauté qui donne accès à une avalanche de musique et de privilèges. Des tickets gratuits pour des concerts intimistes, une version exclusive de son album remixé par des artistes underground, 20 % de réduction sur son merchandising, le téléchargement gratuit de toutes ses B-sides et raretés. Tout ceci, évidemment, a un prix: 24 livres(soit 30 euros) l’année.  » Les auditeurs n’accordent plus grande valeur à la musique aujourd’hui, explique James Smith, leader du gentil gang de Leeds. Ils n’ont pas l’impression de devoir payer pour une chanson. Nous avons donc imaginé une plus-value pour qu’ils nous rémunèrent et ne se contentent pas d’aller télécharger gratuitement nos morceaux sur Napster ou ailleurs. » Hadouken! fait en quelque sorte penser, comme les moins frileux du métier, à un laboratoire.  » L’industrie perd la tête, reprend James Smith. Personne ne sait où elle va et tout le monde se demande comment son job sera rétribué à l’avenir. Nous avons cherché une idée originale. Nous essayons. Si ça marche, tant mieux. Sinon, nous trouverons d’autres solutions. » Le groupe, qui a très vite assuré la publicité de ses concerts sur MySpace et a même enregistré des petits reportages pour se faire connaître sur YouTube, sait où il doit tisser sa toile.

www.hadouken.comMusic for an accelerated culture, distribué par Warner.

5. Le sound system et ses vendeurs ambulants

Mouvement en vogue au nord du Brésil mais aussi à Belém et São Paulo, la Tecno Brega incarne un nouveau modèle économique dans l’industrie du disque. La Tecno Brega (qu’on peut traduire par techno cheesy) fait l’objet de quelque 400 CD par an, introuvables en magasins. Et pour cause. Ses représentants, qui créent de nouveaux morceaux à base de titres pour la plupart produits en Europe et aux Etats-Unis, se sont trouvé de nouveaux intermédiaires: les vendeurs ambulants. Oubliez les maisons de disques, leur promotion institutionnalisée. Lorsque les artistes de Tecno Brega ont terminé une chanson, ils la distribuent gratuitement aux marchands de rue qui se chargent des copies sur CD, de la distribution et conservent l’intégralité des bénéfices. En échange, ils popularisent les « créateurs » et rameutent du people, le week-end, dans leurs sound systems, grand-messes qui attirent plusieurs milliers de spectateurs. Evidemment payants. « Les artistes chez nous ne veulent pas faire de l’argent avec le copyright. Ils désirent monter sur scène et vivre du live », résume DJ Dinho dans le documentaire Good Copy Bad Copy. Ils ne verseront forcément aucun droit aux U2, Pink Floyd, Guns N’Roses et autres Gnarls Barkley dont ils revisitent les classiques à leur manière. Certains diront « qu’ils pompent honteusement ».

Les Brésiliens ont compris depuis longtemps que le disque ne ferait pas vivre les artistes. Au pays de la samba, de Caetano Veloso et de CSS, la musique a déjà commencé à nettement moins se vendre dès la fin des années 80. Quand le CD, trop cher pour sa pauvre population, est apparu sur le marché et n’a affiché qu’un très faible taux de pénétration. Avec la Tecno Brega, le compact disc est essentiellement devenu un outil de promotion pour les concerts.

Texte Julien Broquet

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