C’est l’épreuve imposée pour tout commentateur à l’approche de Noël, une sorte de déclaration d’impôt journalistique à rentrer au plus tard le 31 décembre: qu’est-ce qu’on garde, qu’est-ce qu’on jette de l’année écoulée? Et là, soudain, un gros stress, une vague d’angoisse. Le même cocktail nauséeux que doit avaler l’alpiniste qui prend subitement conscience qu’il a les fesses au-dessus du vide etque sa life ne tient qu’à un clou fabriqué en Chine par un ouvrier en manque de sommeil. Gloups. Que dire ou ne pas dire pour à la fois paraître cool mais pas mainstream, authentique mais pas neuneu, pointu mais pas pédant? Premier dilemme: se fier à sa mémoire ou pousser sur la touche rewind, histoire de ne pas passer à côté de la montre en or restée coincée dans un pli de l’hémisphère gauche? A première vue, on se dit que les poissons qui surnagent dans la mare aux souvenirs sont ceux qui nous ont mis une claque et méritent donc de figurer au palmarès. Quoique… Sous couvert de choc trop intense, on peut avoir refoulé dans un coin mal éclairé un roman ou un film aussi douloureux que sublime. A l’inverse, le raffut médiatique risque bien de maintenir artificiellement dans la lumière un brochet plein d’arêtes. Si on se branche sur cette fréquence, Intouchables devrait d’office trouver sa place dans notre filet. Alors qu’on ne l’a même pas encore vu… Conclusion: il ne faut pas se fier qu’à sa mémoire flash, un détour par les archives s’impose. Autre épine dans le pied: que faire des plaisirs coupables? Vous savez, quand les relents d’un air qui a tapissé de velours votre jeunesse remontent à la surface d’un refrain peu recommandable. On glisse quand même l’une ou l’autre casserole dans son charriot par honnêteté intellectuelle ou on les pousse sous le tapis pour éviter les ricanements de la foule? Comme dit un proverbe en vogue dans les agences d’intérim, on n’a jamais une seconde chance de faire une première bonne impression. Faut donc pas se louper dans ce qui ressemble à un exercice d’équilibriste sur un fil de soie ou un parcours d’obstacles sur un sol gelé. Pour ne rien arranger, il y a best of et best of: pour certains, c’est la salle de musculation, l’étalage de biceps alors que, pour d’autres, c’est de la haute couture dont chaque pièce doit refléter fidèlement une facette de la personnalité. Et ce n’est pas tout. On a beau avoir préparé son coup, il y a toujours un petit malin qui balance son top avant les autres. Bientôt on aura droit au bilan d’une année en juillet… Si en plus, c’est un poids lourd qui tire le premier, c’est cuit. Passer après le NME ou Rolling Stone en musique, c’est comme tenter un retourné après une infiltration éclair de Messi: ça aura toujours l’air laborieux. Malgré la démocratie digitale, il reste difficile de s’écarter des routes balisées. Libé vient d’en faire les frais pour avoir osé casser quelques £ufs sur la tête du tandem doré Sy-Cluzet. En réaction à ce crime de lèse-popularité, le magazine Studio a taillé un costard au quotidien, réactivant au passage la vieille querelle populos contre intellos. Bon, c’est pas tout ça mais va falloir se jeter à l’eau maintenant. Ah ben non tiens, le chrono indique qu’on a épuisé notre temps de parole. Pas grave, on dort 7 fois dessus et on revient la semaine prochaine avec le bulletin complet de 2011. Promis, juré!

Par Laurent Raphaël

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