ANNE FONTAINE ADAPTE AVEC BONHEURGEMMA BOVERY, ROMAN GRAPHIQUE DE POSY SIMMONDS, ET VARIATION INSPIRÉE AUTOUR DE LA MADAME BOVARY DE GUSTAVE FLAUBERT

Entre Anne Fontaine et Madame Bovary il y a, l’air de rien, une longue histoire: après tout, on évoquait déjà l’héroïne de Flaubert au sujet de Nettoyage à sec, film que signait la réalisatrice en 1997. « J’avais dû parler de Miou-Miou comme d’une Bovary de Belfort », sourit-elle, alors que le personnage s’invite à nouveau dans sa filmographie en mode détourné cette fois, à la faveur de Gemma Bovery,adaptation du roman graphique éponyme de l’auteure anglaise Posy Simmonds. Une récurrence qui ne doit pas grand-chose au hasard: « Pour une femme, quand on a lu Madame Bovary à seize ou dix-sept ans, ce qui est incroyable, c’est qu’un homme ait écrit un roman inscrit aussi profondément, d’une manière si précise et moderne, dans la psyché féminine. Cela m’a forcément façonnée », observe la cinéaste.Partant, la découverte, un jour, du livre de Posy Simmonds sur le bureau de son producteur ne manque pas d’attiser sa curiosité. Et de se laisser emporter par cette histoire où l’existence d’un intellectuel parisien retiré en Normandie est mise sens dessus dessous par l’arrivée impromptue de nouveaux voisins, un couple d’Anglais dont le patronyme, Bovery, n’est pas le seul à renvoyer à l’univers de Flaubert. « Moi qui ne suis pas du tout bande dessinée, j’ai tout de suite été séduite par le mélange de profondeur et de légèreté du livre. J’ai été attirée par le ton extrêmement caustique et ironique sur le rapport entre les Anglais et les Français. Mais plus profondément, je crois que c’est vraiment le personnage de Martin Joubert, le boulanger amoureux de la littérature, auquel je me suis identifiée. En me disant qu’il était un peu dans la posture d’un metteur en scène qui vit par procuration une histoire à travers un personnage de fiction, dont il essaye de diriger le destin comme un démiurge, mais qui lui échappe évidemment… »

Pour tirer le roman graphique vers son univers –« j’ai été fidèle tout en étant infidèle, en essayant de regagner de la liberté sur la dimension humaine des personnages »-, Anne Fontaine a fait appel à Pascal Bonitzer, réalisateur et scénariste avec qui elle n’avait encore jamais collaboré. « Pour moi, Martin Joubert est une sorte de frère ou de cousin d’un Woody Allen français. C’est un homme qui a une forme d’incertitude sexuelle, affective, qu’il projette, et dont la projection est plus forte que la vie réelle. De par le travail, et le sens de l’humour très particulier de Pascal, qui a un rapport dépressif à l’humour, j’ai pensé qu’il y aurait une rencontre entre les deux univers. » La comédie littéraire pleine d’esprit en résultant est sans conteste à la hauteur des attentes romanesques, portées par un Fabrice Luchini gourmand et une Gemma Arterton rayonnante. « A moins d’être un bloc de glace, c’est dur de ne pas être renversé par son côté solaire », relève la cinéaste. En quoi l’on ne saurait lui donner tort.

Un film contre un autre

S’il y a là une délicieuse bouffée de légèreté doublée d’un appel difficilement résistible de l’imaginaire, le film recèle aussi, comme souvent chez la réalisatrice de Perfect Mothers, une gravité souterraine, parmi d’autres thématiques récurrentes. « Il y a toujours l’idée de dévisser des gens qui sont structurés et qui ont l’air d’avoir un cadreorganisé, avant de glisser vers des zones beaucoup plus obscures et inattendues ou inédites de leur désir. Ce qui m’intéresse, chimiquement, c’est de dévier, ou faire dévier des êtres qui croient avoir trouvé une solution existentielle à leur vie, comme c’est le cas de beaucoup d’adultes, puisqu’on essaye que la carapace tienne. Et au cinéma, comme en littérature, je trouve beau le moment où l’on perd ses repères, et où on ne sait pas ce qui va vous arriver, avec tout ce que cela comporte parfois de drôlerie, mais encore de chocs de plein fouet. C’est vraiment sur le glissement, et sur la sexualité. L’ambiguïté sexuelle est inhérente et sous-jacente à mes films. »

De Nettoyage à sec à Nathalie… ;de Mon pire cauchemar àPerfect Mothers ou, aujourd’hui, Gemma Bovery, la matrice a fait ses preuves, tout en trouvant des déclinaisons chaque fois différentes. « Je fais toujours un film un peu contre un autre. Je pense que c’est François Truffaut qui a dit que c’était important, d’abord pour se surprendre. Avant Perfect Mothers, je n’aurais jamais pensé que j’allais tourner un film en Australie, avec des actrices anglo-saxonnes, ce n’était pas dans mon psychisme. C’est arrivé comme ça, par une rencontre. Mes sujets traitent souvent de rencontres improbables, donc cela me ressemble sans doute. » Celle entre Gemma Arterton et Fabrice Luchini fait, en tout état de cause, des étincelles…

ENTRETIEN Jean-François Pluijgers

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