Emile Griffith (1938-2013)

© © MEHDI BENEITEZ

La première manche a eu lieu le 1er avril 1961, au Convention Hall de Miami, titre de champion des welters en jeu. Le début d’une sacrée trilogie.

Le Cubain Benny « Kid » Paret était un excellent boxeur, danseur d’exception et chouchou des médias. L’occasion de prouver que tu étais de taille, Emile. Tu l’as emporté par KO à la treizième reprise et les célébrations ont duré plusieurs semaines. Quelques mois plus tard, vous vous êtes retrouvés pour la revanche et le Cubain s’est imposé au bout des quinze rounds, sur décision.

Une défaite qui t’est restée sur l’estomac, mais pas autant que les insultes homophobes crachées par Paret et son clan à la pesée précédant la troisième manche. Les maricón ! (pédé !) des Cubains ont fait mouche. Depuis un certain temps, le bruit courait. Un boxeur de la jaquette, ça la fiche mal. Pas question de sortir du placard. Plutôt nier que de flinguer ta carrière.

Le 24 mars 1962 au Madison Square Garden de New York, tu as durci le combat dès le premier son de cloche. Tu l’as travaillé au corps, le Paret. Mais au sixième round, un gauche d’école t’a envoyé au tapis. Il a fallu te relever. Tenir jusqu’à la fin de la reprise. Une poignée de secondes. Sauvé par le gong.

Au douzième, ça a été ton tour d’ébranler Paret, avec un crochet du droit au menton. Dos aux cordes, le Cubain, piégé, a encaissé une brutale série de coups au corps et à la tête. En cinq secondes, dix-sept coups l’ont atteint de plein fouet. Paret s’est écroulé sans que l’arbitre intervienne.

Transféré à l’hôpital, il a passé l’arme à gauche quelques jours plus tard. Une bombe médiatique. C’était la première fois que la Faucheuse frappait sur le ring, devant des milliers de téléspectateurs. Le noble art en a pris pour dix ans d’interdiction cathodique.

Le manager du Kid, Manuel Alfaro, a accusé l’arbitre, Ruby Goldstein, d’avoir tardé à arrêter le combat. Sauf que quelques mois auparavant, ce même Manuel avait fait monter son protégé de catégorie pour disputer la ceinture mondiale des moyens. Pour une branlée, surtout, administrée par Gene Fullmer et son punch de mammouth, vainqueur par KO à la dixième reprise. Une défaite cinglante qui aurait dû marquer la fin de carrière du Cubain. Au lieu de quoi, son manager s’était empressé de le rengager pour le dernier combat de sa vie.

Toi non plus, tu n’y as pas échappé. Tu as expliqué que tu regrettais, que tu faisais ton job. Ils n’ont rien voulu entendre. Et quand tu es remonté sur le ring pour défendre ton titre, quatre mois plus tard, tu l’as emporté sans appuyer tes coups. Ton pourcentage de KO a plongé. Puis les défaites sont arrivées. Et la retraite.

On t’a retrouvé quinze ans plus tard, en 1992, à la sortie d’un bar gay new-yorkais. En pleine explosion de la nuit arc-en-ciel. Cinq voyous se sont jetés sur toi pour te chercher des noises. Tu as riposté avec tes vieux restes de champion du monde. La surprise passée, ils t’ont éclaté leur batte de base-ball sur le crâne. Bilan: quatre mois de coma. Au réveil, les bégaiements et le brouillard. Démence pugilistique.

Tout ça parce que tu n’étais pas comme les autres. Un boxeur pas comme les autres.

Chaque semaine, l’écrivain Nicolas Zeisler (son livre Beauté du geste est paru aux éditions du Tripode) tire le portrait en un round d’un boxeur de légende.

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