POUPOUPIDOU N’EST PAS LE PREMIER FILM À EXCELLER DANS DES PAYSAGES NEIGEUX. PETIT RETOUR SUR LES RAPPORTS ENTRE NEIGE ET CINÉMA.

Les nombreux plaisirs offerts par le film de Gérald Hustache-Mathieu ( voir notre critique page 30) comprennent une remarquable inscription de l’action et des personnages dans les paysages neigeux de la frontière franco-suisse. Des paysages où l’on peut percevoir quelques réminiscences d’une autre superbe utilisation de la neige à l’écran: le génial Fargo des frères Coen, lequel reste probablement le meilleur film jouant de cet élément météorologique jamais réalisé…

Quand la neige fait son genre

Ethan et Joel Coen avaient fait de la neige plus qu’un décor, un vrai protagoniste de leur film criminel. Et pour ne pas en manquer devant leur caméra, ils transportèrent le tournage de leur Minnesota natal vers le Dakota du Nord et puis au Canada, où subsistait à la fin de l’hiver 1995 suffisamment de « blanche » pour accueillir l’enquête criminelle de la policière enceinte jouée par Frances McDormand. Les coups de feu résonnent plus fort dans la froideur d’un paysage enneigé, et le rouge du sang qui coule y prend un relief souligné. Anton Corbijn s’est récemment souvenu de la première évidence pour la scène d’ouverture de The American. John Carpenter avait en tête la seconde quand il tourna son impressionnant remake de The Thing en 1982. Le polar, le film d’horreur, ne se sont d’évidence pas privés d’aller à la neige. Mais tous les genres ont « donné », de la comédie à la française (des Bronzés font du ski à la Première étoile) au péplum ( Gladiator) en passant par la science-fiction ( L’Empire contre-attaque), le film catastrophe ( The Day After Tomorrow), le cinéma d’action ( Die Hard 2), d’aventures ( White Fang) et d’espionnage ( Goldeneye), le thriller ( Cliffhanger), le documentaire humain ( Nanook Of The North) ou animalier ( La Marche de l’Empereur), le film d’animation ( Happy Feet, la série Ice Age), la comédie à l’américaine ( Groundhog Day) et, bien sûr, le western.

C’est à ce dernier genre que l’on doit quelques-uns des plus grands accords entre neige et cinéma. L’admirable Jeremiah Johnson (1972) de Sydney Pollack emmenait vers des hauteurs sauvages et enneigées l’ex-militaire devenu trappeur joué par Robert Redford. L’action y était rude, la nature et les hommes parfois bien cruels. Mais le western y a gagné une de ses relectures modernes les plus passionnantes, et les plus riches d’émotion. Autre chef-d’£uvre à redécouvrir d’urgence, Day Of The Outlaw (1959) d’André de Toth avait opposé l’éleveur de bétail Robert Ryan à des fermiers, puis à une bande de hors-la-loi sans scrupules, dans un coin du Wyoming couvert d’une profonde couche neigeuse. Plus connu chez nous sous son titre français, La Chevauchée des bannis, ce film sublime intègre personnages et décors naturels avec un sens poétique aigu. On s’en voudrait par ailleurs de ne pas célébrer Il Grande silenzio, le « spaghetti western » commis en 1968 par un Sergio Corbucci détournant et retournant une à une toutes les conventions du genre, sur fond de paysages enneigés de l’Utah. Un film épatant, avec son héros pistolero (joué par… Jean-Louis Trintignant), son chasseur de primes sadique (Klaus Kinski), et sa fin d’une implacable noirceur.

Des pas dans la neige

D’autres genres nous laissent en mémoire des séquences marquantes. Le fantastique nous a offert, par exemple, celle de The Invisible Man (1933) où les pas du héros joué par Claude Rains et devenu invisible trahissent sa présence en créant des empreintes dans la neige. Des films comme 30 Days Of Night, Gremlins, Willow ou Hellboy ont tiré eux aussi, même si de manière moins inspirée, un parti appréciable de décors enneigés. Entre polar et comédie, Sam Raimi nous a aussi charmés par son utilisation du blanc dans A Simple Plan. Michel Gondry en a fait de même dans Eternal Sunshine Of The Spotless Mind. Il faudrait par ailleurs étudier de près l’impact neigeux dans le cinéma d’un Christophe Nolan qui a souvent utilisé cet élément, que ce soit dans Insomnia, The Prestige, Batman Begins ou, tout récemment, Inception.

Les réalisateurs français nous ont également donné quelques séquences précieuses. Ainsi François Truffaut dans Tirez sur le pianiste, ou Claude Miller dans La Classe de neige. Mais que dire des flocons tombant sur le petit monde mélancolique du C£urs d’Alain Resnais? Ils resteront comme l’une des plus belles et des plus significatives manifestations neigeuses de l’histoire du cinéma. Plus loin dans le temps, aux Etats-Unis et à l’époque du muet, Charlie Chaplin avait déjà fait un usage enchanteur de la poudreuse dans The Gold Rush. Stanley Kubrick s’est aussi montré très inventif dans l’enneigement de l’hôtel de Shining et dans l’exploration du labyrinthe de neige où va se geler son héros devenu fou. Quant à Alive de Frank Marshall, évocation de la survie de sportifs accidentés dans les Andes, il proposait une séquence d’avalanche des plus spectaculaires. On s’en voudrait enfin de ne pas mentionner le film suédois Let The Right One In (2008), récit d’apprentissage mâtiné d’épouvante où la neige se pose en écrin très particulier.

Mais ne faudrait-il pas, en définitive, chercher la neige la plus éternelle du 7e art non pas dans un paysage mais bien dans… le globe que laisse tomber de son lit de mort Charles Foster Kane dans le Citizen Kane d’Orson Welles? Des flocons d’artifice, pleuvant dans une boule qui roule, tandis que dans un souffle est prononcé  » Rosebud« …

TEXTE LOUIS DANVERS

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