Les chanteurs new-yorkais d’Interpol, des Strokes et de Clap Your Hands Say Yeah prennent la tangente et se la jouent solo. Explications.

On l’avait à peine reconnu sur la pochette avec ses lunettes, sa montre qui brille et son verre de « wine » dans un décor qui ressemble à une vilaine boîte de nuit désertée par les clients. D’autant qu’il se fait appeler Julian Plenti comme au bon vieux temps. Ce temps où il n’avait pas encore fait connaissance avec le côté obscur de la force. Paul Banks aurait aimé rester dans l’ombre de l’anonymat mais à l’ère d’Internet, tout se sait, le secret est de polichinelle. Et avec sa voix si particulière, le chanteur d’Interpol aurait de toute façon rapidement été démasqué.

Son album solo est tout sauf un coup de tête. Certaines chansons de Julian Plenti is… skyscraper remontent d’ailleurs à la fin des années 90.  » On parle de riffs, de petits morceaux à la guitare acoustique, explique-t-il bavard. L’envie d’enregistrer un disque en solitaire a germé il y a longtemps mais je ne me sentais pas prêt à franchir le pas. Je trouvais ces titres inaboutis. »

La découverte du programme Pro Logic a servi de déclic. Alors qu’il jouait les DJ’s dans des soirées hip hop, Banks s’est mis à composer ses propres beats qu’il lançait entre les classiques du rap.  » Et je me suis demandé pourquoi ne pas déterrer mes vieilles chansons maintenant que je pouvais les accompagner d’une batterie, d’une ligne de basse, d’une section de cordes. »

Pour les sessions d’enregistrement, le New-Yorkais a débauché des musiciens de studio, Sam Fogarino, son pote d’Interpol, Mike Stroud de Ratatat et Charles Burst, ex-membre de The Occasion.  » Je ne cherchais pas de collaborateurs. Juste un coup de main de gens qui puissent interpréter ce que j’avais déjà composé. Quand tu bosses avec des mecs que tu respectes, tu n’as pas envie de les diriger. Or, je suis un control freak. Comme la plupart des musiciens je pense. Et sur ce projet, je ne voulais rien lâcher. Pendant 3 mois, j’étais comme possédé. Seul, tu ne dois pas défendre tes idées, te justifier. Même quand elles paraissent farfelues. Le compromis est frustrant.  »

Aussi étonnant que cela puisse paraître, Bono figure dans la liste de remerciements.  » Elle est courte mais j’y ai glissé tous ceux qui m’ont encouragé après avoir entendu ce que je faisais. Si je n’ai pas mis en boîte ce disque plus tôt, c’est sans doute que je manquais de confiance en moi. »

Julian Plenti ressemble sans doute plus à Paul Banks que tout ce qu’il a pu faire jusqu’ici.

 » Ce disque, c’est moi. Mélancolique et absurde. Mais plus comique que sombre. Je n’ai rien calculé. Il reflète ma personnalité. Je ne sais pas s’il existe de nombreux cas similaires au mien. Je ne suis pas le songwriter de mon groupe. Ma situation est fondamentalement différente de celle que vit Julian Casablancas. Il écrit les paroles des Strokes alors que moi, je ne suis que la voix d’Interpol. »

Tensions internes

Julian Casablancas, justement, ne se voyait pas a priori emprunter le chemin de l’effort solitaire mais des tensions internes qui ont bien failli venir à bout des Strokes en ont décidé autrement et ont mené le songwriter mal coiffé à se la jouer perso. Les Strokes avaient toujours voulu bosser dur. Casablancas, à un moment, se sentait un peu seul au front.  » J’ai eu l’impression d’être le seul à trimer. De me prendre toute la merde, explique-t-il dans les Inrocks. Financièrement, nous partageons tout de manière égale. A un moment, j’ai eu l’impression que les autres ne venaient que pour encaisser leur chèque. »

De son propre aveu, ses problèmes avec l’alcool ont aussi aggravé la situation, amplifié les malentendus.  » Les autres avaient baissé les bras, poursuit-il dans l’hebdo français. Ils écoutaient ce que je disais et s’exécutaient mais n’étaient pas forcément ravis de ne pas avoir leur mot à dire. Ils étaient très frustrés. »

Ils ont d’ailleurs été voir ailleurs. Albert Hammond Jr a sorti deux albums sous son propre nom. Fab Moretti a fondé Little Joy et Nikolai Fraiture a monté Nickel Eye.  » Je n’ai jamais désiréPhrazes for the Young avant de l’enregistrer. En changeant les règles, j’aurais été parfaitement satisfait au sein des Strokes. Mais eux n’étaient plus satisfaits de moi. J’ai décidé de me lancer après qu’ils l’ont fait de leur côté.  »

Alec Empire

Le petit dernier à avoir pris la poudre d’escampette du côté de Big Apple, c’est Alec Ounsworth, chanteur à la voix nasillarde de Clap Your Hands Say Yeah. Outre un disque sous le nom de Flashy Python, le bonhomme vient de nous gratifier d’un premier album solo enregistré à La Nouvelle-Orléans. Un album intitulé Mo Beauty, inscription découverte sur un panneau au milieu d’immeubles détruits par les inondations.  » L’album porte mon nom par hasard, confie-t-il dans Magic. Je ne sais pas que penser du concept solo. J’essaie de ne pas faire de différence entre les projets dans lesquels je m’investis. La seule chose qui change, ce sont les musiciens qui jouent sur les albums. » En l’occurrence, cette fois, des mecs connus dans le milieu de la soul et du jazz comme Robert Walter (Galactic) ou George Porter Jr. (Meters). Ounsworth a écrit toutes les chansons mais c’était déjà le cas dans ses groupes précédents. Il n’a pas essayé de se faire plus ou moins directif que d’habitude. Et pour ceux qui se posent la question, il ne sait pas trop où il en est avec Clap Your Hands. Il n’y a même guère réfléchi. Le « band » ne s’est pas séparé mais ses membres ne traînent pas ensemble pour le moment. En fin de compte, toutes ces aventures sont un peu le symbole d’une époque. Celle du carpe diem, de l’insouciance, de la liberté. Les jeunes générations d’artistes vivent au rythme de leurs pulsions et de leurs envies. Qui oserait le leur reprocher?

Texte Julien Broquet

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