Nouveau batteur, sixième album. Placebo sort la tête de l’eau. Discussion tendue avec un Brian Molko apparemment lessivé par la promo. Ambiance.

Ça faisait déjà longtemps que, horripilé par la voix nasillarde de Brian Molko, Placebo ne nous excitait plus. On se dispensera de critiquer son nouveau disque. A nos oreilles, insupportable. Mais on lui laisse le soin de le défendre. Après avoir rencontré, au bar de l’hôtel, le sympathique nouveau batteur Steve Forrest, on se retrouve dans une chambre face au trio. Le regard de Molko caché derrière des lunettes de soleil. Pour dissimuler sa mauvaise humeur?

Votre nouvel album s’intitule Battle for the sun. Après 15 ans de carrière et 10 millions d’albums vendus, doit-on encore se battre pour se faire une place au soleil?

Notre principale préoccupation n’est pas de nous faire aimer ou de rechercher le succès commercial. Si c’était le cas, nous aurions enregistré beaucoup de Nancy Boy et de Pure Morning, nos deux chansons les plus populaires. Nous aurions pu tomber dans la recette, la formule. Ce que nous avons toujours soigneusement évité. Si une bataille existe, elle est artistique. Il s’agit de ne pas se répéter, de se renouveler à chaque nouvel album. Terminer ce processus sans avoir tourné le dos à ce qui fait ce que vous êtes, voila l’équilibre difficile à atteindre. Plus vous existez depuis longtemps, plus votre catalogue s’est étoffé et plus il devient compliqué de changer. Cet album se pose comme une réaction au disque précédent, claustrophobe et suffocant. Et qui, à nos yeux, n’apportait pas beaucoup d’espoir. Battle fo the sun est plus coloré, ouvert. Son titre parle de la lutte qu’entreprennent les gens pour changer, sortir de diverses addictions. Il y a aussi un côté science-fiction, manga dans ce choix. Imaginez-nous en personnages de dessins animés… On devrait d’ailleurs créer des poupées Placebo que vous pourriez habiller comme vous le désirez.

Vous nourrissez plus d’espoir aujourd’hui qu’il y a quelques années?

Assurément. Placebo possède un avenir désormais. A un moment, nous nous sommes retrouvés piégés dans notre propre groupe à cause de relations détériorées. Je ne sais pas si vous avez déjà vécu un divorce. Pendant la séparation, vous vous dites: vais-je encore aimer un jour? Puis vous vous remettez.

A quoi étaient dus ces problèmes internes?

Il est difficile de se lever un matin et de se dire que tu fais partie d’un groupe avec un parfait inconnu. Que tu as perdu tout respect pour quelqu’un qui t’était jusque-là très proche. C’est extrêmement triste en fait. Appartenir à un groupe constitue une alternative à ce que la société attend de nous. Tu ne dois pas aller travailler au même endroit tous les jours. Respecter des heures de bureau. Bosser avec des gens que tu n’aimes pas. J’étais d’autant plus frustré. La situation m’a rendu malade. Nous devions dès lors prendre des décisions pour survivre, entamer un processus de reconstruction; il n’y avait pas d’autre option. Nous ne pouvions pas accepter la mort de Placebo ou imaginer changer de nom. Nous écrivons des chansons ensemble depuis 1994!

Steve Forrest vous a séduit?

Nous l’avons rencontré à un de nos concerts dont il assurait la première partie. Nous avions été impressionnés par ce batteur jeune, intelligent et enthousiaste. Nous le savions très bon musicien. Nous avons ensuite dû juger si, humainement, nous pourrions voyager partout dans le monde ensemble…

Vous lui avez fait passer un interrogatoire?

(Brian Molko s’arrête, s’adresse à Stefan Olsdal). Impossible de terminer mes phrases avec ce type.

Je ne voulais pas vous interrompre

Pas grave. J’essayais juste de répondre à votre question.

Allez-y…

C’était pas important. Vous vous en foutez puisque vous parliez en même temps que moi. Nous n’avons plus qu’à évoquer autre chose. (Il se calme) Désolé. ça a été une longue journée. Et une longue semaine.

Votre contrat avec Virgin arrivé à son terme, vous avez financé vous-même ce 6e album. Pourquoi?

Quand nous nous sommes sentis prêts à enregistrer un nouveau disque, nous nous sommes dits que nous ne voulions pas faire de compromis avec une maison de disques. Et nous avons décidé d’avancer l’argent, de payer cette plaque avec nos propres deniers. Ça vous procure davantage de pouvoir; vous n’avez plus de comptable, qui pense connaître la musique et vient vous prodiguer ses conseils…

Même quand on s’appelle Placebo, on fait face à ce genre de situation?

Brian Molko (excédé): « C’est pas possible. J’essaie seulement de finir mes putains de phrases. »

Je rebondis sur vos propos …

Il est juste très rafraîchissant d’enregistrer un disque sans se sentir responsable pour qui que ce soit à part nous. Nous avions le sentiment d’être libres. Nous étions à 4500 kilomètres du bureau de notre manager. Nous pouvions faire tout ce que nous voulions. Une expérience joyeuse.

www.placeboworld.co.uk

Entretien Julien Broquet

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