La littérature noire vient des écrivains afro-américains de la fin du XVIIIe siècle, tels Olaudah Equiano ou Phillis Wheatley qui furent les premiers à témoigner de l’esclavage et du racisme. Le negro spiritual, le blues et le gospel ont également fortement influencé ce genre littéraire. Aux Etats-Unis, il faudra attendre les années 20 pour voir apparaître le polar où les auteurs traitaient surtout de corruption, de gangstérisme et du règne des finances, le tout baignant dans une violence extrême. C’est Marcel Duhamel, fondateur de la mythique Série Noire, qui va découvrir les Anglais Peter Cheney et James Hadley Chase; tout comme des écrivains américains de la trempe James Cain ou Horace McCoy. Il n’y a pas qu’aux States qu’on excelle dans le polar, pourtant ce sont les auteurs US qui remportent toujours la palme du public. Paradoxal quand on sait que beaucoup de Français aiment dénigrer tout ce qui vient des Etats-Unis.

Mais il y a aussi une admiration évidente pour leur savoir-faire. Le rythme est soutenu, sans digressions inutiles et l’intrigue est bien ficelée. Autrefois, quand la course au fric n’avait pas pris le pas sur l’artistique, il y avait de vrais bons polars à l’atmosphère inquiétante et troublante, avec des dessous aux parfums sulfureux. Le danger aujourd’hui est l’assimilation de la littérature policière à des hamburgers où les marchands du temple cherchent à nous gaver de produits préfabriqués et formatés selon des recettes rentables. Certains auteurs à succès donnent l’impression de devoir produire dans le même moule avec les mêmes ingrédients. Seule la sauce varie. On s’en lasse vite dès qu’on connaît les ficelles. On vit à l’époque où, la plupart du temps, la culture est devenue une question économique qui n’a plus rien à voir avec l’Art. Faut savoir faire le tri. Mais il n’y a pas que le polar qui s’habille de noir. La marée s’est étendue à la littérature dite « blanche », comme celle de Houellebecq. Pourquoi le désespoir et le nihilisme séduisent-ils tant? Les amateurs ont sans doute besoin de se confronter à la vision des artistes sur le monde. Espèrent-ils y trouver une solution plus sensée que chez les politiciens? Ou se sentent-ils attirés par la noirceur des choses afin d’exorciser leurs propres démons? Et qu’est-ce qui pousse les auteurs à tripatouiller dans les ténèbres? Pour Maud Tabachnik, une des stars du polar en France, puiser dans la noirceur lui permet d’en extraire des reflets du quotidien et du monde. Et de donner aux gens des éclats de miroirs dans lesquels ils se retrouvent.

Il y a évidemment l’attrait du côté populaire et donc distrayant du polar. Chacun peut mener son enquête! Il ne faut pas nier non plus une certaine fascination pour ces tueurs qu’on appelle les monstres et qui pourtant font partie, comme nous, de la race humaine. Le polar joue avec nos peurs d’enfant, touche aux tabous et reste une littérature sans langue de bois. Le monde part en vrille et l’humour n’a plus l’air de devenir une bouée de sauvetage. Le public préfère le couteau sanglant au nez de clown qui mettrait un peu de baume au c£ur. Y a qu’à voir les résultats des ventes. Même si la corde du polar semble doucement s’user. Ce qui explique peut-être le succès du thriller nordique (Stieg Larsson, Karin Fossum…), à la saveur moins frelatée. Le combat est difficile aussi pour les artistes. Lutter pour garder sa liberté ou avoir les pieds au chaud dans ses pantoufles? De nos jours, on est plus dans la « mécanique du rasoir » et les eaux troubles laissent la place au Tsunami. Un avant-goût de l’Apocalypse? l

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