ANDREW NICCOL RETROUVE ETHAN HAWKE POUR GOOD KILL, VERSION HIGH TECH D’AMERICAN SNIPER, OÙ LA GUERRE AU TERRORISME SE MÈNE À DISTANCE RESPECTABLE, À L’AIDE D’UNE TÉLÉCOMMANDE PILOTANT DES DRONES DÉVASTATEURS

Sortis dans le reflux des années 90, deux films, Gattaca, dont il assurait la mise en scène, et The Truman Show, dont il avait écrit le scénario, ont promptement consacré Andrew Niccol nouveau maître d’un cinéma d’anticipation ambitieux, brassant avec acuité des enjeux éthiques et moraux. Appelé à briller au firmament hollywoodien, le réalisateur néo-zélandais résidant aux Etats-Unis a toutefois peiné à vraiment confirmer, s’installant, passé un convaincant Lord of War,dans un certain ronron, fût-il d’ailleurs à coloration SF comme dans Les Ames vagabondes. Venant après celui-là, et quoique non exempt de tout reproche, Good Kill témoigne d’un regain de forme sensible dans le chef du cinéaste. Prenant le pouls de l’Amérique en guerre, ce dernier y renoue il est vrai avec l’ADN de son oeuvre, questionnant l’impact de la technologie -militaire en l’occurrence- sur l’homme, à travers le destin d’un pilote au coeur d’un « drone de drame », cette guerre au terrorisme se jouant aussi à distance de télécommande entre Nevada et Afghanistan, Yémen et autres.

Soit un rôle en déflagrations successives, que Niccol a choisi de confier à Ethan Hawke, acteur qu’il retrouve après Gattaca et Lord of War, sa présence devant la caméra venant d’ailleurs accréditer l’idée d’une connexion souterraine entre les trois films. « Ils se situent tous les trois dans cette zone où la technologie rencontre l’humanité, approuve le comédien. L’ingénierie génétique pose des questions complexes et intéressantes en termes de morale, c’est un domaine infini. Et Lord of War parlait de la capacité à vendre des armes et à se faire de l’argent, en perpétuant la violence dans le monde suivant une logique capitaliste. Les sociétés d’armement font des profits considérables, et peu importe l’administration en place, l’Amérique reste le plus important fournisseur d’armes au monde. Quant à Good Kill, il montre combien Andrew s’y entend pour poser des questions sensibles. Ces films sont des frères spirituels… »

Confusion des genres

Acteur et réalisateur parlent d’une seule voix, pour ainsi dire, au point de faire la promo de concert, le premier étayant le plus souvent les propos du second -ainsi lorsque Niccol souligne n’avoir jamais eu l’intention de tourner un film politique: « Je ne suis pas un candidat en campagne, et mon rôle se limite à raconter une histoire et à poser un constat sur ce qui se passait alors. Ce n’est pas à moi d’établir ce qui est juste ou non. »« La politique impose le carcan dans lequel cette histoire se produit, renchérit Hawke. Andrew a fait les recherches requises pour situer et comprendre le monde dans lequel ces gens évoluent, et le boulot a ensuite constitué à l’humaniser, et à définir l’expérience humaine dans ce contexte. C’est là ce qui m’importait, et ce qui m’a attiré dans ce personnage: ce qu’ils font, comment y arrivent-ils? Et il y a pire: certains de ces soldats combattent les talibans avec leur joystick, pour ensuite se rendre dans leur pub à Las Vegas, où ils s’affairent à des jeux vidéo. On a hésité à mettre ces éléments dans le film, de crainte d’apparaître trop outranciers, mais c’est comme cela que ça se passe… » Tant qu’à faire dans la confusion des genres, c’est d’ailleurs jusqu’au design des joysticks utilisés dans les opérations militaires qui imite celui des jeux et autres Playstations –« c’est complètement flippant », observe Niccol, qui rappelle que des « gamers » ont été recrutés en diverses circonstances pour guider la manoeuvre des drones, « tant ces gamins y excellent », à charge pour un officier de ponctuer les opérations.

Les ambiguïtés et les paradoxes, Good Kill les épingle en rangs serrés -on se croirait sur un parade ground. Le moindre n’étant certes pas l’impact humain dévastateur d’une guerre en apparence désincarnée. Et cela, quel que soit le camp considéré d’ailleurs. « En faisant mes recherches, je n’ai pas cessé de découvrir des choses qui me choquaient, poursuit le réalisateur. Nous devons admettre une responsabilité. Il arrive, par exemple, que des frappes touchent des mariages. La raison, c’est qu’en Afghanistan, lors de réjouissances, la coutume veut que l’on tire en l’air. Vu d’en haut, on peut croire qu’il s’agit de tirs anti-aériens, et il arrive donc que l’on décide de faire exploser un rassemblement de personnes qui ne font que célébrer des noces. Une horrible ironie veut que nous menions une guerre à la terreur, mais qu’au Waziristan par exemple, nous soyions en fait en train de créer cette terreur parce que les gens n’osent plus se réunir, comme lors de mariages, parce qu’on risque de les soupçonner de comploter contre les Etats-Unis, en conséquence de quoi on va vouloir les éliminer. Et ils n’osent plus sortir lorsque le ciel est dégagé parce que c’est alors que, le plus souvent, les drones volent… Nous engendrons de la terreur dans cette région du monde. »

(Anti)héros pour guerre moderne

L’impact des opérations se mesure aussi intra muros, si l’on peut dire, s’agissant des containers depuis lesquels opèrent ces snipers d’un genre nouveau. « Cet environnement est terriblement claustrophobique, et l’on comprend que ces mecs, installés dans un espace confiné avec quelques personnes et toute cette technologie, deviennent dingues, relève Ethan Hawke. Et d’enchaîner: « Vous savez pourquoi ils sont ainsi consignés dans ces containers sur roues? Cela remonte à l’époque où on pouvait aéroporter ces équipements n’importe où dans le monde à bord de Hercules afin qu’ils soient opérationnels en 24 heures. Ils n’ont jamais changé cette technologie, et cette relique ridicule leur vaut d’être confinés dans ces petites boîtes. » Menant une drôle de guerre à distance, Tom Egan, le pilote de drones qu’incarne l’acteur, n’en est pas moins marqué dans sa chair, (anti)héros dépressif pour conflit des temps modernes; une figure que le cinéma américain n’en finit plus d’explorer, de In the Valley of Elah de Paul Haggis en The Hurt Locker de Kathryn Bigelow, et jusqu’au récent American Sniper de Clint Eastwood.

Autant dire qu’il y a là du grain à moudre. Et cela même si Good Kill opère, sur le tard, une courbe rentrante plutôt inexplicable, sacrifiant une part de ses aspérités sur l’autel d’un politically correct surgi de nulle part. Sans être le brûlot entrevu un temps, le film n’en touche pas moins un point sensible: « Le programme des drones est intéressant, parce qu’il a été lancé par Bush et appliqué par Obama, il réunit en quelque sorte les deux parties, relève encore Niccol. Avec cela d’épouvantable pour ce film qu’il risque de ne plus se trouver personne pour l’apprécier, ni à gauche, ni à droite… » (rires) Un effet pernicieux parmi d’autres, plus préoccupants: « Nous sommes confrontés à une situation épineuse, comme c’est parfois le cas avec de nouveaux armements. Il y a cette idée que ces armes vont pouvoir amener la paix: la guerre se passera sans effusion de sang, les dommages collatéraux seront moindres, nos soldats seront mieux protégés, et nous pourrons frapper les méchants de façon chirurgicale. En outre, le public ne semble pas comprendre ce que sont les drones, et leur usage le révolte moins que lorsqu’il voyait le massacre d’un village au Vietnam, ou ce genre de choses. Bien sûr, les Etats-Unis ont connu le 11 septembre, et l’on peut comprendre, jusqu’à un certain point, ce que l’on pourrait appeler une réponse excessive. Mais voilà treize ans que nous sommes en Afghanistan, et c’est de loin la plus longue guerre de l’Amérique. Celle du Vietnam a duré dix ans, l’autre guerre d’Irak, huit, nous n’avons été engagés dans la Seconde Guerre mondiale que pendant quatre ans: vous voyez ce que je veux dire, c’est insensé. Et combien de temps cela va-t-il encore durer? Mais je ne suis jamais qu’un cinéaste… »

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Venise

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