Drôle de fripouille

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Les mémoires de George Sanders, acteur d’une souveraine élégance oscarisé pour All About Eve, paraissent dans une nouvelle traduction.

Même s’il a joué dans plus d’une centaine de films, dont une poignée de classiques, de All About Eve de Joseph Mankiewicz, l’Oscar du meilleur second rôle à la clé, à Voyage en Italie de Roberto Rossellini, George Sanders ne portait pas le métier d’acteur, ni le cinéma d’une façon générale, en très haute estime. Le genre à écrire dans ses mémoires, publiés en 1960, et qui reparaissent aujourd’hui dans une nouvelle traduction française de Romain Slocombe: Si je semble mordre la main qui m’a nourri de façon très convenable pendant près de 25 ans, c’est parce que le fait de jouer dans des films ne m’a jamais follement enthousiasmé. En tant qu’art, c’est un peu comme le patin à roulettes: une fois qu’on a compris comment faire, ce n’est pas particulièrement stimulant pour l’intellect; ce n’est pas très excitant; c’est un dur boulot; et cela prend beaucoup d’un temps qui pourrait être mieux utilisé.

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L’art de la scélératesse

Nulle posture chez Sanders, devenu acteur par accident pour ainsi dire, qui observe un peu plus loin: “Je suis un type qui dérive, je me laissai donc dériver jusqu’à la célébrité.” Ce pour quoi il montrait d’évidentes dispositions, lui qui allait exceller, des années durant, dans les emplois de “canaille aristocratique”; dilettante, certes, mais pouvant se targuer d’avoir porté la scélératesse à un niveau rarement égalé, fripouille définitive sans jamais se départir de son élégance. Hitchcock le fera tourner dans Rebecca et Foreign Correspondent; Lang dans Man Hunt et Moonfleet; il sera du Portrait of Dorian Gray d’Albert Lewin, comme du Village of the Damned de Wolf Rilla, mais se commettra également dans un nombre imposant de nanars. Parcours sur lequel il porte, dans ces mémoires exquis, un détachement non feint, esprit acéré doué d’un humour ravageur, et cela, qu’il évoque le tournage au Japon de The Last Voyage, les virées de Rossellini au volant de sa Ferrari ou son union tapageuse avec Zsa Zsa Gabor, dont il fut l’un des neuf époux. George Sanders avait vécu, il est vrai, ayant dû fuir avec sa famille la Russie où il était né suite à la révolution bolchévique, avant de bourlinguer, et d’exercer des boulots divers, travaillant notamment dans l’industrie du tabac de l’Argentine au Chili, son aventure sud-américaine se terminant de manière abrupte après qu’il avait provoqué un indélicat en duel. Échantillons parmi d’autres d’une existence qu’il mena armé de sa distance caustique, dandy jusque dans la mort qu’il choisit de se donner, le 25 avril 1972 en Espagne, tirant sa révérence sur ces mots: “Cher monde, je m’en vais parce que je m’ennuie. Je sens que j’ai vécu suffisamment longtemps. Je vous laisse avec vos soucis dans cette charmante fosse d’aisance. Bonne chance.” Ce qui s’appelle la politesse du désespoir…

Profession fripouille

De George Sanders, éditions Séguier, traduit de l’anglais par Romain Slocombe, 288 pages..

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