RUMER N’EST PAS LA SEULE À SE PLIER À L’EXERCICE DE L’ALBUM DE REPRISES. LOIN DE LÀ… DÉCRYPTAGE D’UNE TENDANCE PLUS IMPORTANTE QUE JAMAIS.

Il faut l’entendre pour le croire. Sur son dernier album intitulé Après, Iggy Pop reprend Si tu n’existais pas de Joe Dassin. L’icône proto-punk destroy qui fouine dans le répertoire de l’idole variét’ seventies. L’art de la reprise tient parfois du contrepied. Dans ce cas-ci, c’est carrément le grand écart. Iggy, lui, a l’air de bien se marrer. Faisant également un sort à La vie en rose et la Javanaise, il revendique le droit d’explorer d’autres sentiments, s’attachant à des mélodies d’avant le beat, amené par le blues, le rock…

Avec son récent A l’eau de javel, la chanteuse française Anaïs s’attaque, elle aussi, au patrimoine musical hexagonal, avec une douzaine de titres datant majoritairement des années 30. Pas de standards évidents (à part une relecture de Mon Dieu), mais une série de morceaux souvent plus méconnus, qu’on imagine parfois mieux convenir à l’Iguane. Comme par exemple Le tango stupéfiant chanté dans les années 30 par Marie Dubas: « Mon amant dont j’étais si fière/Un triste matin me plaquait/Pour calmer mon âme chagrine/Je résolus en un sursaut/De me piquer à la morphine/Ou de priser de la coco. » Explicit lyrics, comme on dit…

En tout cas, la tendance est là. La saison semble plus que jamais propice aux disques de covers. L’exemple le plus frappant est celui de la jeune Birdy, 16 ans, qui cartonne avec un premier album de reprises. Mais les anciens s’y mettent aussi: sur son nouveau Heroes, le patriarche country Willie Nelson carbure en grande partie aux chansons des autres (Tom Waits, Coldplay…). De son côté, la chanteuse soul à la voix de papier de verre Macy Gray vient de sortir l’explicite Covered. Elle y reprend une douzaine de chansons, d’Arcade Fire à Radiohead en passant par Metallica ou Eurythmics. Un choix éclectique, mais pas vraiment de grosses surprises. Vu d’ici, la démarche pourrait même passer pour une petite récréation, en attendant que l’inspiration revienne enfin. Après tout, les disques de reprises ne servent-ils pas surtout à ça? Pas si simple…

D’abord, l’exercice de la reprise n’a pas toujours été synonyme de panne de créativité. Il a même été longtemps la règle, sans que cela gêne. Quand Presley « invente » le rock en 1954, c’est avec une reprise. A l’origine, That’s All Right, Mama est une « cover » d’un titre d’Arthur ‘Big Boy’ Crudup. Dont une première version sort en 1946, basée elle-même sur un titre de Blind Lemon Jefferson. Les Rolling Stones débutent également leur carrière en reprenant les bluesmen noirs. Même les Beatles font leurs armes sur les chansons des autres avant d’écrire les leurs, entamant une réelle révolution dans l’univers de la pop. Mais même à ce moment-là, la démarche a toujours persisté: Jimi Hendrix reprenant Dylan, Otis Redding chantant les Stones … « Dans les années 60, écrit le critique Simon Reynolds dans son fameux Retromania, les covers concernaient généralement des morceaux contemporains, une manière pour un artiste ou un groupe de compléter un album. En d’autres mots, la reprise n’était pas spécialement porteuse de signification. » La situation a cependant évolué petit à petit . « Cela a commencé à changer au moment du post-punk, quand les covers étaient souvent choisies pour exprimer la sensibilité d’un groupe ou poser un discours sur l’histoire de la pop. »

De fait, les covers sont devenues une manière de s’affirmer, de se positionner via la bonne citation, la reprise bien pensée, bien exécutée. Bref, de se construire une identité, voire de se racheter parfois une crédibilité artistique. La post-modernité est passée par là. Internet (et la téléréalité) ont fait le reste. Aujourd’hui, YouTube est ainsi devenu le nouveau réservoir à covers, tandis qu’une série comme Glee base son succès sur les reprises de tubes pop et que des shows télé comme The Voice squattent les hit-parades avec les « exploits » de ses protégés. Pour le meilleur et pour le pire…

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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